Des chercheurs canadiens croient pouvoir utiliser des enzymes présentes dans l'intestin humain pour convertir tout type de sang en groupe O universellement utilisable - une découverte qui pourrait élargir le bassin de donneurs de sang potentiels et rendre l'appariement sanguin plus facile et sécuritaire.

Pour que les transfusions soient sécuritaires, le sang d'un donneur - par exemple, les types A, B ou AB - doit correspondre à celui du patient. Le sang de type O peut être transfusé à n'importe qui et est toujours très en demande.

«Le type sanguin est déterminé par la présence d'antigènes à la surface des globules rouges; le sang de type A possède l'antigène A, B l'antigène B, le sang AB a les deux antigènes et le sang O n'en a pas», a expliqué le chercheur principal Stephen Withers, qui enseigne la chimie et la biochimie à l'Université de Colombie-Britannique.

«Les antigènes peuvent déclencher une réponse immunitaire s'ils sont étrangers au corps, donc les patients transfusés doivent recevoir soit leur propre groupe sanguin, soit le type O pour éviter une réaction, a-t-il ajouté. C'est pourquoi le sang de type O est si important.»

M. Withers explique que l'équipe de UBC a échantillonné l'ADN de millions de microorganismes trouvés dans divers échantillons environnementaux pour en dénicher un dans lequel les enzymes souhaitées pourraient être trouvées.

Les chercheurs ont ensuite porté leur attention sur la muqueuse de l'intestin humain - qui contient des sucres dont la structure est similaire à celle des antigènes sanguins - en extrayant l'ADN bactérien d'échantillons de matières fécales.

«En ciblant les bactéries qui se nourrissent de ces sucres, nous avons isolé les enzymes utilisées par les bactéries pour extraire les molécules de sucre», a dit M. Withers.

Il ajoute que les chercheurs ont ensuite utilisé les bactéries E. coli comme de «petites usines» pour produire ces enzymes et ils «ont constaté qu'elles étaient capables d'avoir un effet similaire sur les antigènes sanguins».

«Alors nous les ajoutons simplement aux globules rouges, elles se fixent à la surface des globules rouges puis elles coupent le sucre», a-t-il expliqué mercredi lors d'une entrevue depuis Boston, où la recherche a été présentée cette semaine lors de la réunion annuelle de l'American Chemical Society.

Les scientifiques étudient l'utilisation des enzymes pour modifier le sang depuis 1982, a dit M. Withers. «Cependant, ces nouvelles enzymes peuvent faire le travail 30 fois mieux.»

L'équipe de UBC s'est concentrée sur la transformation du sang de type A en type O. Les enzymes permettant de couper les sucres à la surface des cellules sanguines de type B avaient déjà été identifiées. L'utilisation des deux groupes d'enzymes pourrait donc convertir le sang AB en O, a-t-il noté.

M. Withers et ses collègues prévoient demander un brevet pour les enzymes nouvellement identifiées et collaboreront avec la Société canadienne du sang et le Centre for Blood Research pour les tester sur différents types de sang provenant de divers donneurs.

«La prochaine étape concerne la sécurité, a-t-il précisé. Il y a d'autres tests que nous devons faire pour nous assurer que, dans le processus, nous n'avons rien changé par inadvertance à la surface des globules rouges, ce qui pourrait nuire à leur fonction.»

L'un des avantages de ces enzymes est qu'elles fonctionnent dans le sang total, et pas seulement dans les composants du sang, ce qui signifie que les dons pourraient être rapidement convertis au type universel O, a-t-il suggéré.

«Donc, je pourrais imaginer que [ça] pourrait être ajouté au sang quand il est donné et qu'il suffise d'attendre que la conversion soit terminée», a dit M. Withers.

La Société canadienne du sang indique que 46 % de la population canadienne a du sang de groupe O, tandis que 42 % est du groupe A, 9 % du groupe B et 3 % du groupe AB.

«L'un des principaux défis du maintien d'un apport sanguin adéquat dans les pays développés est que l'utilisation du groupe O n'est pas proportionnelle à l'incidence de ce groupe sanguin dans la population», a expliqué la docteure Dana Devine, le responsable scientifique de la Société canadienne du sang, qui croit que les enzymes de conversion du sang «peuvent changer la donne».

«Ce déséquilibre est dû au fait que le sang du groupe O peut être transfusé à n'importe quel receveur et qu'il est utilisé pour traiter les patients dans les situations d'urgence lorsqu'il n'est pas possible de déterminer le groupe sanguin», a-t-elle ajouté.

Bien qu'il ne serait pas nécessaire de modifier toutes les unités de sang autres que le sang O, M. Devine croit que la technologie serait importante dans les milieux où des pénuries sont prévues dans le groupe O, y compris les étés canadiens marqués par une augmentation des tragédies routières, la saison des ouragans dans les Caraïbes et le déploiement de troupes dans les zones de combat.

L'expansion de l'approvisionnement en sang à l'échelle mondiale est essentielle à la lumière de la croissance de la population et de la fréquence des catastrophes naturelles, croit M. Withers.

«Nous espérons qu'un jour nous pourrons éventuellement transformer n'importe quel type de sang, de tissus ou d'organes donnés, sans danger pour quiconque, quel que soit son groupe sanguin d'origine.»