Telle une capsule temporelle, dont on aurait verrouillé la porte à la fin des années 1960 pour l’ouvrir 50 ans plus tard, cette maison aux accents Mid-century Modern n’a pas bougé d’un poil depuis sa construction. Un style bien particulier, loin des décors épurés d’aujourd’hui, qui a néanmoins fait tourner les têtes lors de sa mise en marché. Visite.
Si cette maison de plain-pied était située dans la banlieue de Sainte-Foy, on pourrait se croire dans une scène de la série télévisée C’est comme ça que je t’aime. Or, nous sommes à Montréal-Est et ce n’est pas Huguette Delisle qui nous accueille, mais Suzanne Tremblay Pigeon, propriétaire de cette demeure qu’elle a habitée pendant 58 ans. « Comme vous voyez, elle est bien préservée », souligne-t-elle.
Une maison qu’elle et son mari, aujourd’hui décédé, ont fait construire en 1961, « dans un champ », selon les plans d’un architecte réputé de l’époque, mais dont le nom lui échappe. La décoration est signée Claude Hinton, un décorateur montréalais reconnu qui a notamment posé sa touche sur plusieurs bâtiments de l’Exposition universelle de 1967 et sur le restaurant Hélène-de-Champlain.
« Je trouve que les jeunes comprennent mieux l’importance d’un décor », aujourd’hui, avait déclaré M. Hinton dans une entrevue publiée dans l’hebdomadaire à potins Photo-Journal, en 1972. « Ils se créent un monde bien à eux et ils ont raison. Leurs parents ont trop vécu en disant que leur installation n’était que temporaire ; finalement, ils sont morts dans leur décor temporaire… »
Pour Suzanne Tremblay Pigeon et son mari, un avocat qui avait aménagé son bureau au sous-sol de leur résidence, leur décor fut loin d’être temporaire. Les tapis et le papier peint coloré, omniprésents, les armoires de cuisine, les sanitaires, les interrupteurs au bouton rond, le bar au sous-sol, les meubles et même plusieurs électroménagers sont là depuis le début, incroyablement bien préservés. À peine voit-on une égratignure camouflée sur le comptoir de cuisine en stratifié.
« Dans les années 1960, il y avait une très belle qualité d’ouvriers et les matériaux étaient durables, note Suzanne Tremblay Pigeon. Ce sont des choses qui durent longtemps et qui ont été bien faites. » Et, disons-le, bien entretenues. « Peut-être parce que j’avais le temps aussi. À notre retour de voyage de noces, mon mari m’a dit : “Tu n’as plus besoin de travailler, je suis capable de gagner ta vie !” »
Le couple a eu deux enfants qui ont grandi, puis quitté cette maison sans que le décor en soit changé. Pourquoi l’avoir conservée ainsi ? « Parce qu’on l’aimait comme ça, répond simplement la propriétaire. On la trouvait belle. Tout a été choisi avec amour. »
Tout ce qu’on a acquis, ce n’était pas juste pour décorer, c’était pour avoir une belle ambiance, que ce soit agréable à l’œil.
Suzanne Tremblay Pigeon
N’a-t-elle jamais eu envie d’un décor plus moderne et épuré ? « J’ai toujours dit que j’aimais une maison habillée, alors la mienne, elle est habillée. Mais il y a des maisons modernes qui sont bien aussi, c’est une question de goût. »
Des propriétés comme celle-ci, la courtière immobilière Nathalie Audet, chargée de vendre la propriété, en a rarement croisé sur sa route. « C’est un produit vraiment hors du commun. Pour l’évaluer [le prix de vente affiché est de 799 000 $], je suis allée voir les photos d’une quarantaine de propriétés vendues dans le secteur, cinq ans en arrière et je n’ai rien trouvé de comparable. Il a fallu que j’aille chercher dans d’autres secteurs comme Rivière-des-Prairies et Pointe-aux-Trembles. C’est le tout qui la rend unique, la superficie surtout [quatre chambres au même niveau], mais aussi le style, le bureau en bas avec entrée indépendante et le terrain avec vue sur le fleuve. »
Mais vendre une maison figée dans le temps peut être un défi. « Je savais qu’il y aurait de l’engouement à cause de l’époque de la maison, mais je n’étais pas certaine parce qu’on a beaucoup de premiers ou deuxièmes acheteurs qui veulent vraiment de l’ultramoderne, constate Mme Audet. Je ne voulais pas avoir un entrepreneur qui arriverait ici pour tout raser. Je savais qu’elle [la propriétaire] ne voudrait pas ça. »
Dix visites et une offre d’achat
Or, de l’engouement, il y en a eu. Dès sa mise en ligne, la fiche de l’inscription a été beaucoup partagée sur les réseaux sociaux. En une semaine, une dizaine de visites ont eu lieu et une offre a été déposée. Les négociations étaient toujours en cours au moment d’écrire ces lignes.
« La plupart des gens qui sont venus sont des gens qui aiment beaucoup les anciennes maisons et qui veulent conserver cet héritage-là », souligne Mme Audet.
La courtière a aussi reçu plusieurs appels de gens désireux d’acheter des morceaux du décor. Les personnes intéressées seront mises en contact avec la propriétaire une fois la vente complétée. Certaines pièces pourraient aussi se retrouver à l’encan.
« Ça se fait une étape à la fois, dit celle qui a emménagé dans une résidence pour aînés il y a deux mois. J’ai une attache sentimentale à ma maison qui est difficile à faire disparaître. Mais j’ai une consolation. J’ai meublé tout mon appartement avec des meubles d’ici. C’est comme si j’étais chez moi. » Le temps est venu, dit-elle, de passer le flambeau à une famille qui, elle l’espère, ne fera pas table rase du passé.
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