Loin de s’essouffler, le marché de la revente continue de battre à un rythme effréné. Au point où les acheteurs peinent à trouver une maison à un prix « raisonnable ». Reste maintenant à voir si cette tendance haussière se maintiendra au cours de l’automne.

« Le problème, c’est qu’on n’arrive pas à trouver des maisons à vendre pour nos clients acheteurs, résume Lysanne Légaré, courtière immobilière chez Royal LePage, dans la couronne nord de Montréal. Je cogne parfois à la porte de vendeurs potentiels pour les informer que des acheteurs sont intéressés à acquérir leur propriété. »

« Et quand une maison sort sur le marché, elle trouve preneur très souvent en moins de deux jours, en multioffres, à un montant largement supérieur au prix affiché », ajoute-t-elle.

Cela crée un stress supplémentaire pour les acheteurs, dont le pouvoir de négociation est bien faible face à des vendeurs qui ont le gros bout du bâton... et qui n’hésitent plus à gonfler le prix de leur propriété pour tirer avantage de la situation.

Lysanne Légaré cite en exemple le cas d’un propriétaire qui vient de refuser une offre de 600 000 $ pour sa maison, dans l’espoir de profiter de la surenchère. L’hiver dernier, ce même propriétaire demandait 519 000 $ et n’avait pas réussi à conclure une transaction.

« Depuis six mois, tout va très vite, signale Mme Légaré. Les prix ne cessent d’augmenter, et dans ce contexte, il est de plus en plus difficile de bien analyser le marché pour nos clients. »

Les gagnants et les perdants

S’il y a des gagnants, il y a aussi des perdants. C’est le cas de Ben Fredj Mouez, 44 ans, qui désespérait, jusqu’à tout dernièrement, d’acquérir une maison unifamiliale pour loger sa petite famille.

« Je ne voulais pas acheter n’importe quoi et n’importe où pour devoir m’éloigner de mon travail, soulève le professeur d’éducation physique d’origine tunisienne. Même chose pour ma conjointe, qui travaille au centre-ville de Montréal. »

Il en était presque rendu à regretter d’avoir vendu sa maison de Laval, dans le secteur de Pont-Viau, en juin dernier.

J’ai dû faire cinq offres d’achat, en offrant de payer plus cher que le montant affiché. Or, chaque fois, j’ai raté mon coup parce qu’un autre acheteur a offert une somme supérieure.

Ben Fredj Mouez

Le vent a tourné favorablement au cours des derniers jours...

« Cette fois, j’ai offert de payer 32 000 $ de plus que le montant demandé par les vendeurs [une succession familiale], explique le père de trois enfants, dont un bébé de 9 mois à peine. Et je vais acheter sans garantie légale... J’en étais rendu là. »

Prix payé pour sa maison de Rosemère, « qui a besoin de rénovations et de beaucoup d’amour » : 620 000 $.

Il faut comprendre que le temps pressait, puisque les acheteurs de sa maison de Pont-Viau vont emménager le 27 septembre...

Les émotions c. le rationnel

Cet acheteur est loin d’être le seul à chercher sans pouvoir trouver, observe pour sa part le courtier Jean-Marc Léger, chez Via Capitale.

« J’ai une douzaine de clients acheteurs très inquiets, en ce moment, note-t-il. On visite des maisons, on fait des offres, mais chaque fois, on se retrouve en multioffres. Et c’est souvent à recommencer. »

Les vendeurs dictent le marché, dans bien des cas. Certains vont même jusqu’à informer les acheteurs potentiels, via leur courtier, qu’ils prendront les offres d’achat un lundi, à 17 h précises !

Jean-Marc Léger, courtier chez Via Capitale

Chose certaine, relève de son côté la courtière immobilière Sophie Charron, chez Royal LePage, les acheteurs contractent des hypothèques de plus en plus élevées pour réaliser leur « rêve ».

« Même des semi-détachés en mauvais état se vendent 300 000 $, note-t-elle. J’ai de la misère à croire que cette tendance [où les prix sont gonflés en raison de la forte demande] va se maintenir. »

La courtière relève qu’elle vient de déposer une offre d’achat pour un client acheteur qui était prêt à payer 340 000 $ pour une propriété de 299 000 $.

« Et on ne l’a pas eue ! Il y avait trois offres supérieures à la nôtre ! C’est dur... »

L’effet de rebond…

Le marché immobilier au Québec a « rebondi » de façon spectaculaire au cours des quatre derniers mois, de telle sorte que le recul des ventes observé en avril et en mai a été « largement compensé » par une hausse marquée du nombre de transactions.

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Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ)

« À vrai dire, nous sommes en avance sur l’an dernier avec une hausse des ventes de 8 % [entre janvier et août] », souligne Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ). « Plus concrètement, nous avons recensé 71 159 transactions dans l’ensemble de la province depuis le début de l’année. »

Comment expliquer cet engouement pour l’immobilier, dans un contexte de pandémie ?

« On peut penser que les acheteurs voient [de plus en plus] la propriété comme une valeur sûre, dit-il. Et avec le télétravail, on réalise qu’on peut habiter dans des villes de la périphérie, et même à la campagne. Ce sont des phénomènes nouveaux dont il faut tenir compte si on veut mieux comprendre l’évolution du marché, à l’heure actuelle. »

Prix médian des logements

• 427 500 $ : unifamiliale

• 312 000 $ : copropriété

• 599 500 $ : 2 à 5 logements

Source : APCIQ, août 2020

Il n’en demeure pas moins que tout peut aller dans une direction opposée, et très rapidement, si jamais une deuxième vague frappait le Québec de plein fouet cet automne.

Il faut rappeler qu’en avril dernier, alors que le Québec était en plein confinement — et qu’il était impossible de visiter les propriétés —, l’Association professionnelle des courtiers prédisait une baisse des prix de 10 %.

« Nous allons dévoiler de nouveaux scénarios en décembre pour tenir compte de la réalité », convient Charles Brant.

Doit-on comprendre que le marché serait sur le point de ralentir après la surchauffe des derniers mois ? « Oui, il y aura un ralentissement des ventes en 2021, mais c’est difficile de savoir quand », croit le directeur du Service de l’analyse.