Été 1852. Le mercure grimpe à 37 °C à Montréal. La ville suffoque et deux incendies majeurs ravagent coup sur coup le sixième du territoire. Plus de 10 000 personnes se retrouvent à la rue, dont Marguerite Hay, veuve d'un maître boucher.

Sa maison a été rasée par les flammes, mais la veuve entreprend d'en faire construire une nouvelle au même endroit, plus grande et dans le style néoclassique alors à la mode. Un an plus tard, la nouvelle demeure sort de terre à l'extrémité est du Vieux-Port, à l'angle des rues Montcalm et Notre-Dame. Le secteur revit graduellement... mais n'est pas au bout de ses peines.

Fin du XIXe siècle. Le Faubourg Québec, quartier qui sera plus tard baptisé le « Faubourg à m'lasse », est amputé d'une partie de ses bâtiments pour accueillir la gare de triage du Canadien Pacifique. Il sera charcuté encore pour faire place aux grands boulevards, puis rasé par la Ville au début des années 70 afin d'y ériger la Maison de Radio-Canada.

Si la maison Marguerite-Hay est encore debout aujourd'hui, c'est grâce à l'entêtement d'un poète et danseur new-yorkais du nom d'Alfred North. Alors que les béliers mécaniques s'attaquaient aux structures environnantes, le propriétaire a refusé catégoriquement de quitter les lieux, évoquant la valeur patrimoniale de sa demeure.

Son obstination et le boucan médiatique qui a suivi ont permis de protéger la résidence d'éventuelles tentatives de démolition et de faire classer l'îlot des Voltigeurs, qui comprend aussi la caserne voisine, site historique.

Plus jamais seule

Spacieuse et lumineuse, la résidence a gardé son charme d'autrefois - des murs épais de pierre, de larges planches de bois au plancher, des lucarnes et des fenêtres doubles à l'ancienne - auquel se greffe un confort moderne. Car depuis l'époque où Alfred North l'avait récupérée dans un état de délabrement avancé, la belle ancestrale a reçu des soins attentionnés.

Il y a 22 ans, une joggeuse enthousiaste passait par là en se rendant au boulot. Son coup de coeur pour la vieille demeure et son jardin intime, où poussent des arbres matures et des vivaces, a été immédiat. « Je l'ai achetée sans même la visiter, raconte Lily-Ann Gauthier. Ma soeur m'a dit : "T'es folle raide." Elle s'inquiétait que je n'aie pas de voisins, mais moi, j'adorais ça ! », raconte-t-elle en riant.

Le voisinage a bien changé depuis cette époque où la propriété était la seule résidence du quadrilatère : il y a maintenant des condos tout autour - beaucoup - et une coop qui accueille des familles. D'abord réfractaire, la criminologue s'est adaptée à cet entourage. « Le quartier est plutôt le fun, finalement ! », constate-t-elle. Les artères et les rues ont été embellies et on y entend maintenant des rires d'enfants. Chaque année, les petits de la garderie d'en face sont d'ailleurs invités à venir cueillir des pommes sur le terrain.

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« Pour nous, cette maison a été une oasis où l'on pouvait se ressourcer sans avoir l'impression d'être en ville. Le jardin en soi est exceptionnel », dit Lily-Ann Gauthier.

Passer le flambeau

Quand on évoque le poids d'avoir à entretenir une maison patrimoniale, Lily-Ann Gauthier réplique avec un sourire : « Ça n'a jamais été un enjeu pour moi. Je suis du genre à voir les solutions et pas les problèmes. » Au fil des années, elle et sa conjointe, Geneviève Gail, ont fait refaire ce qui nécessitait une approbation en vertu du statut de la maison : les galeries, les portes, les fenêtres et les joints des pierres. Toutes les salles de bains ont également été modernisées.

Le couple a pris plaisir à chiner pour meubler les lieux d'objets d'époque. Lily-Ann y a aussi trouvé l'inspiration pour « chef-d'oeuvrer », comme disait son père, autrement dit, pour « patenter des affaires ». Retraitées ou presque, puisque Geneviève prendra bientôt congé de l'enseignement, les deux femmes passent désormais plus de temps dans leur résidence secondaire à la campagne. Les projets ne manquent pas, dont ceux de partir en cavale dans leur nouveau « campeur » et de se faire bâtir une maison écologique.

« J'ai fait un vrai trip : je voulais le faire et je l'ai fait à fond. Mais on n'a plus de raison de vivre en ville. » La maison Marguerite-Hay devrait être habitée par quelqu'un qui en fait plein usage, estime sa propriétaire. « On en a fait, des partys, ici. On lui a fait honneur. Il est maintenant temps de passer à autre chose », dit-elle sans regret, en retenant le bonheur d'avoir vécu dans une maison d'exception.

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La maison, vue de l'arrière, en été. La galerie, entièrement refaite, donne accès à un jardin champêtre.

La propriété en bref

Prix demandé

1 488 000 $

Année de construction

1853

Immeuble

3558 pi2

Terrain

3979 pi2

Taxes municipales (2019)

9012 $

Taxe scolaire (2018)

1954 $

Description : spacieuse propriété (monument historique) avec stationnement et grand jardin paysager et boisé. La résidence comprend un 3 1/2 au rez-de-chaussée et un 6 1/2 dans les étages supérieurs. Peut être utilisée en tant que duplex, unifamiliale ou maison intergénérationnelle.

Courtier

André Desbiens, RE/MAX, 514 983-3443

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La propriétaire a fait quelques trouvailles lors de l'acquisition de la demeure, dont ces bouteilles en terre cuite qui décorent maintenant la cuisine, ainsi que plusieurs plaques à biscuits et vieilles corbeilles à pain.

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Aménagée sous les lucarnes, la chambre principale occupe une bonne partie de l'étage supérieur et est assez vaste pour accueillir des fauteuils et un canapé. Un puits de lumière rend la pièce lumineuse en tout temps durant le jour.