Depuis dimanche, Huwara retient son souffle. Le village palestinien a été la cible d’une attaque d’une ampleur peu commune, alors que des colons israéliens cherchaient à venger la mort de deux des leurs. Les commerces sur la route principale empruntée par les Israéliens et les Palestiniens n’avaient toujours pas levé leurs rideaux de fer mercredi, a témoigné un habitant de Huwara à La Presse.

« Nous avions vu sur les réseaux sociaux que les colons israéliens de notre région appelaient à une manifestation vers 18 h dimanche, donc tout le monde s’attendait à une attaque, mais nous ne nous attendions pas à ce qui est arrivé, confie Samer Odeh, un traducteur de 35 ans joint par visioconférence. Parce que c’est la première fois que nous sommes témoins d’une si grosse attaque. Il y avait peut-être des centaines de colons. »

Un homme aurait été tué dans l’attaque, qui a aussi fait de nombreux blessés. Carcasses de voitures calcinées, murs couverts de suie, vitres fracassées : les colons ont aussi laissé derrière eux les vestiges d’une expédition punitive de plusieurs heures dénoncée de toutes parts, notamment par le gouvernement israélien.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La colère des colons trouvait sa source dans un évènement survenu quelques heures auparavant. Deux frères israéliens ont été tués par balle sur la route de Huwara dimanche après-midi, dans ce que le gouvernement israélien a qualifié d’« attentat terroriste palestinien ».

Les auteurs de cette attaque sont toujours recherchés.

La région craint maintenant une nouvelle escalade de la violence. Le lendemain de l’évènement, un Américano-Israélien a été tué près de Jéricho. L’armée israélienne a annoncé mercredi avoir tué un Palestinien dans une opération liée à l’attaque.

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La présence de militaires israéliens s’est accentuée dans les derniers jours à Huwara.

Actes de vengeance

Huwara est située le long d’un important axe routier traversant toute la Cisjordanie occupée, non loin de colonies juives reconnues pour leur ferveur idéologique et leur campagne d’expéditions punitives – le « prix à payer », selon l’expression parfois griffonnée sur les lieux d’actes de vengeance.

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Huwara au lendemain du passage d'une expédition punitive de colons israéliens

« Ça fait au moins dix ans qu’il y a des incidents violents entre les colons et les Palestiniens en Cisjordanie, particulièrement en Samarie [nom biblique utilisé par les Israéliens pour désigner la région près de Naplouse] », explique Shlomo Fischer, chercheur au groupe de réflexion The Jewish People Policy Institute. « Ce qui est nouveau est l’ampleur de l’évènement. »

L’armée israélienne a été critiquée pour l’absence d’intervention pendant l’attaque. Huit Israéliens ont été arrêtés en lien avec les évènements, mais la plupart auraient été relâchés, selon des informations policières.

M. Fischer doute qu’il y ait beaucoup de conséquences légales. La présence d’ultranationalistes dans la coalition au pouvoir depuis deux mois semble avoir galvanisé des membres des colonies les plus axées sur le nationalisme religieux, estime-t-il.

Coalition

« Les membres du gouvernement israélien ont condamné d’une seule voix les attaques à Huwara, mais les membres d’extrême droite de la coalition ont aussi exprimé une sympathie pour les motivations derrière le geste », remarque Dov Waxman, professeur d’études israéliennes à l’Université de Californie à Los Angeles.

Les questions politiques divisent les Israéliens, rappelés aux urnes en novembre dernier pour la cinquième fois en quatre ans.

La coalition menée par l’actuel premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui réunit des partis d’extrême droite et des formations ultraorthodoxes, forme le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël.

Si des colons ultranationalistes se sont réjouis du poids politique dont ils disposent, le pays connaît aussi depuis deux mois une vague de contestations contre une importante réforme de son système judiciaire.

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Les forces de l’ordre israéliennes contrôlent un manifestant à Tel-Aviv.

Réforme contestée

Mercredi soir, les policiers ont sévèrement réprimé une manifestation à Tel-Aviv, utilisant canons à eau et grenades assourdissantes pour disperser la foule – une « escalade significative et sans précédent contre des Israéliens au cœur de Tel-Aviv », note M. Waxman.

Aeyal Gross, professeur de droit à l’Université de Tel-Aviv, fut témoin de la tension en circulant en voiture dans la métropole mercredi soir. Il ne mâche pas ses mots en parlant de la réforme proposée par le gouvernement : « C’est un coup d’État anticonstitutionnel, en gros. »

La réforme de la justice a été annoncée début janvier. Elle prévoit notamment l’impossibilité pour la Cour suprême d’invalider toute nouvelle loi fondamentale votée par le Parlement.

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Les forces de l’ordre israéliennes contrôlent un manifestant à Tel-Aviv.

Une mesure nécessaire pour contrer une Cour suprême « politisée », se défendent le premier ministre et ses alliés. Mais qui donnerait plus de latitude aux politiciens, sans un système indépendant de contre-pouvoir, souligne M. Gross.

« Il y a de nombreux intérêts qui se combinent pour cette réforme, explique-t-il. Les intérêts de formations d’extrême droite nationalistes qui pensent que des décisions libérales de la cour minent leur perception d’Israël comme État juif, par exemple. »

Sans oublier, ajoute-t-il, l’intérêt du premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui fait face à des accusations de corruption.

« Anarchie »

Mercredi, ce dernier a comparé « l’anarchie » des manifestants de Tel-Aviv à celle des colons qui ont attaqué Huwara dimanche.

« Nous ne tolérerons pas une situation dans laquelle les gens agissent comme bon leur semble [contre la loi] – ni à Huwara ni à Tel-Aviv », a-t-il dit.

À des kilomètres de là, Samer Odeh se questionnait sur la protection réellement offerte dans son village, en large partie dans une zone contrôlée par l’armée israélienne.

PHOTO FOURNIE PAR SAMER ODEH

Samer Odeh

« Lundi, l’armée a doublé son nombre de soldats pour protéger les deux côtés, dit le père de trois enfants. Ils nous ont dit qu’ils nous protégeraient, mais le premier jour, ils n’ont rien fait contre les colons. Je pense que ce sont juste des mots. »

Il craint un retour de la violence.

« Je gare ma voiture loin de chez moi, dans un endroit protégé, illustre-t-il. Et j’ai acheté un extincteur. J’ai dit à mes proches de faire la même chose . »

Avec Haaretz et l’Agence France-Presse