Une Afghane a mis sur pied un programme d’enseignement clandestin destiné aux femmes exclues des universités depuis décembre.

En l’espace de quelques jours, plus de 500 professeurs dans le monde ont répondu à l’appel de Basira Taheri.

La militante a sollicité l’aide de professeurs de toutes les disciplines pour lancer un programme de cours en ligne destiné aux étudiantes afghanes.

L’invitation a été partagée sur les réseaux sociaux peu après l’annonce de la fermeture des universités aux femmes par les autorités talibanes, fin décembre.

PHOTO FOURNIE PAR BASIRA TAHERI

La militante Basira Taheri est réfugiée en Italie.

Moins d’un mois plus tard, les premiers cours ont débuté. Plus de 2000 étudiantes se sont déjà inscrites au programme. Elles étudient en droit, en science politique, en économie.

« C’est leur dernière chance », plaide Basira Taheri, qui milite pour le droit à l’éducation des jeunes Afghanes depuis plus de 10 ans.

Depuis la prise de pouvoir éclair des talibans en 2021, l’Afghanistan s’est transformé en zoo, image Basira Taheri. Et les femmes, dépouillées de tous leurs droits, sont comme des animaux en cage.

Selon Mme Taheri, il ne passe pas une journée sans « meurtres, arrestations, torture, passages à tabac, mariages forcés, suicides et de milliers d’autres crimes contre les femmes ».

« L’Afghanistan est devenu un enfer pour les femmes », tonne-t-elle.

Mais il y a de la lumière dans la noirceur.

Il y a près d’un an, Basira Taheri était recherchée par les talibans et se terrait à Kaboul. Aujourd’hui, elle est réfugiée en Italie et lutte à distance pour l’éducation des filles et des femmes afghanes.

« Je continue de me battre afin qu’elles ne pensent pas que nous avons perdu. »

« Soudain, tout s’est effondré »

Avant le retour des talibans, Basira Taheri dirigeait une école pour filles à Hérat, troisième ville du pays, en plus de s’impliquer dans plusieurs organisations de défense des droits des femmes.

Dans les dernières années, le vent avait tourné en Afghanistan, raconte-t-elle. L’éducation des jeunes Afghanes était de plus en plus acceptée, et même encouragée.

PHOTO AAMIR QURESHI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE / PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Avant d’interdire l’université aux femmes, les talibans leur avaient imposé des restrictions. Elles étaient séparées de leurs camarades masculins et tenues de porter le hijab en classe. Ici, une classe en septembre 2021.

« Le gouvernement avait un budget spécifique destiné à créer des occasions d’études pour les femmes », soutient Mme Taheri.

L’appel est traduit du persan au français grâce à l’aide de Somaya Ahmady, une ancienne élève de Mme Taheri, qui poursuit aujourd’hui des études supérieures au Bangladesh. « Je suis la première femme de ma famille à aller à l’école », dit-elle fièrement. Après l’obtention de son diplôme, l’étudiante espérait créer sa propre organisation et défendre l’égalité entre les hommes et les femmes en Afghanistan.

C’est très difficile d’accepter que tout le travail qu’on a fait, soudain, s’est effondré.

Basira Taheri

Après la chute de Kaboul, la militante s’est opposée au régime taliban, qui promettait de se montrer plus souple qu’il y a 20 ans. Elle n’y a jamais cru. « Chaque jour, nous recevions des nouvelles concernant le meurtre de militantes », raconte Mme Taheri, qui continuait de descendre dans la rue, au péril de sa vie.

En septembre 2021, son nom s’est retrouvé sur une liste de militantes recherchées par les talibans. À contrecœur, elle s’est réfugiée dans la capitale.

À Kaboul, Basira Taheri a habité une maison louée au nom d’un proche pendant six longs mois, durant lesquels elle n’est sortie que deux fois. Personne ne savait qu’elle s’y cachait, pas même sa mère.

Même dans la clandestinité, la militante a continué de défendre l’éducation des filles, privées d’enseignement secondaire.

Trois enseignantes ont transformé leur maison en salle de classe. Mme Taheri, qui devait faire profil bas, coordonnait les cours.

PHOTO FOURNIE PAR BASIRA TAHERI

À Kaboul, des enseignantes ont transformé leur maison en salle de classe.

« Chaque classe comptait environ 20 élèves. Les filles apprenaient les maths, la physique, la chimie et l’anglais. Nous les préparions pour l’université », explique la femme de 33 ans.

Plus les mois passaient, plus l’étau se refermait sur elle. À ce stade, la plupart des militantes avaient déserté le pays. Avec l’aide d’un organisme, Basira Taheri a fui vers le Pakistan, où elle a poursuivi ses activités militantes pendant six mois.

« Il y avait de nombreuses familles de réfugiés afghans. Avec mes amies, nous enseignions aux enfants », raconte-t-elle.

Redonner espoir

En juillet, Basira Taheri a immigré en Italie avec un visa de réfugié.

Dans les derniers mois, les talibans ont imposé des restrictions aux étudiantes afghanes. Elles étaient séparées de leurs camarades masculins et tenues de porter le hijab en classe.

Mme Taheri était en contact avec ses étudiantes en Afghanistan lorsque les talibans ont interdit l’université aux femmes. « L’une d’entre elles a mis fin à ses jours », dénonce la militante.

« Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour les soutenir. J’ai publié sur les réseaux sociaux que je voulais offrir de l’enseignement en ligne aux femmes afghanes », raconte-t-elle.

Le programme « Wisdom House » est né moins d’un mois plus tard. Plus de 2000 étudiantes s’y sont déjà inscrites, en majorité des universitaires, mais aussi des élèves du secondaire.

SAISIE D’ÉCRAN DE LA PAGE DE WISDOM HOUSE

Dans le cadre du programme Wisdom House, des professeurs donnent des cours en ligne à des étudiantes afghanes. Ici, un cours d’économie.

« Tous les jours, nous avons des réunions avec les professeurs. Certains d’entre eux sont prêts à les mentorer ou à leur offrir un stage », soutient Mme Taheri.

Mais les défis sont nombreux. L’accès à l’internet, coûteux en Afghanistan, est un obstacle pour de nombreuses étudiantes. Basira Taheri espère trouver une solution.

Malgré l’horreur, tout n’est pas encore perdu, dit-elle.

« Je parle aux étudiantes au téléphone jour et nuit. Je leur suggère différents moyens de se battre. Je les motive à ne pas perdre espoir. »

« Nous allons devenir un pays sans femmes éduquées »

PHOTO OMER ABRAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE / PHOTOMONTAGE LA PRESSE

« S’il n’y a plus de sages-femmes dans notre pays, que feront nos femmes, nos filles et nos mères enceintes ? », assène Malala*.

Au bout du fil, l’étudiante en pratique sage-femme garde un long silence. Bannie de son université, elle craint pour son avenir, mais aussi celui de son pays.

En Afghanistan, plusieurs professions dans les secteurs de l’éducation et de la santé sont occupées en majorité par des femmes. La pratique sage-femme, par exemple, est réservée aux femmes, affirme Malala.

Sans relève, la profession est en péril. « Nous allons devenir un pays sans femmes éduquées », tonne-t-elle, atterrée.

L’automne dernier, la jeune femme de 19 ans a entamé ses études dans une université privée, à Hérat. Sa classe comptait 45 étudiantes.

« C’est ma voisine qui m’a convaincue de m’inscrire. Elle disait que le métier de sage-femme serait un bon choix pour notre avenir et que nous trouverions un emploi », raconte Malala.

Fin décembre, l’étudiante s’est rendue à l’université pour faire un examen. À son arrivée, sa professeure lui a sommé de quitter les lieux sur l’ordre des talibans.

« Ma professeure nous a dit qu’elle ne pouvait rien faire pour nous et que nous devions partir », se souvient l’étudiante.

Ce matin-là, Malala est restée au moins une heure plantée devant les portes de son université. Elle espérait une erreur, un malentendu.

« J’ai pleuré toute la journée. J’ai pensé : “Pourquoi ? Qu’avons-nous fait ?” Si j’avais le choix d’être une fille ou un garçon, je choisirais d’être un garçon. Pourquoi les garçons peuvent-ils étudier et pas les filles ? », s’indigne-t-elle.

Des conséquences « désastreuses »

Les autorités talibanes ont justifié l’interdiction d’accès aux universités pour les femmes par le fait qu’elles « n’ont pas respecté » les codes vestimentaires.

Selon l’Organisation des Nations unies, la mesure liberticide entraînera des conséquences « désastreuses », non seulement sur les femmes, mais aussi sur tout le pays.

« Sans femmes éduquées, il y aura moins de professionnels pour servir la population et faire progresser l’Afghanistan vers la prospérité », a décrié l’organisation internationale dans une déclaration publique.

Les talibans interdisant aux médecins masculins de soigner les femmes et les jeunes filles, celles-ci « ne recevront pas de soins médicaux adéquats ». Sans enseignantes, « l’éducation des enfants pâtira ».

« Les impacts intergénérationnels d’une telle restriction seront profonds et désastreux pour l’Afghanistan », a prévenu l’ONU.

La situation économique est déjà « alarmante » depuis les restrictions de travail imposées aux femmes par les talibans, soutient la militante afghane Basira Taheri.

« En interdisant l’éducation des filles, le groupe taliban a provoqué un désastre », martèle-t-elle.

Depuis qu’elle est barrée de son université, Malala passe ses journées à la maison. « Je regarde la télé, je fais des tâches ménagères. C’est ce que font les femmes en Afghanistan », lâche-t-elle.

Il ne lui reste rien, à part l’espoir, peut-être. « C’est la seule chose que nous pouvons faire. Espérer que les universités nous ouvriront de nouveau leurs portes. »

*Prénom fictif, pour protéger l’identité de l’étudiante