Pendant des décennies, il s’agissait de rumeurs et d’affirmations dans des mémoires d’anciens officiers. Maintenant, grâce à deux historiens israéliens, c’est écrit noir sur blanc : l’État hébreu a eu recours à des armes bactériologiques durant la guerre de 1948.

« Les Arabes avaient dénoncé des attaques bactériologiques à l’époque, et depuis une vingtaine d’années, plusieurs autobiographies en Israël les avaient évoquées », explique Benny Morris, historien à l’Université Ben-Gourion, qui a copublié l’étude en septembre dans la revue Middle Eastern Studies. « Mais il n’y avait pas de documents à l’appui. Tout était secret. Nous avons découvert des centaines de documents militaires en utilisant le nom de l’opération, Jette ton pain. Apparemment, les censeurs ont été confondus par ce nom obscur et n’ont pas classé confidentiels ces documents. »

L’attaque la plus importante a visé en avril 1948 la ville d’Acre, dans le nord d’Israël, parce qu’elle était située sur l’itinéraire présumé d’une invasion par des troupes libanaises. Des agents israéliens ont versé des solutions de bactéries de la fièvre typhoïde dans le système de distribution d’eau de la ville.

« L’attaque a causé des dizaines de malades et peut-être quelques morts », dit M. Morris. À noter, l’État d’Israël a été créé le 14 mai 1948.

Des attaques ont par la suite été planifiées à Beyrouth, à Gaza et au Caire, mais les agents envoyés en reconnaissance ont été arrêtés par les autorités arabes.

« Et il y avait une opposition morale au plus haut niveau de l’État d’Israël, dit M. Morris. Chaim Weizmann [premier président d’Israël] était choqué par la guerre bactériologique. Il y a eu des discussions pour empoisonner les puits des villages arabes désertés pour décourager les réfugiés de rentrer, mais ça n’a pas eu lieu. Il faut aussi remettre les choses en perspective : les deux côtés, dans le conflit de 1948, avaient pour tactique de détruire les puits pour chasser des habitants de villages ennemis. »

L’empoisonnement planifié de villes allemandes

Les recherches de M. Morris et de son coauteur, Benjamin Kedar, de l’Université hébraïque de Jérusalem, ont aussi permis de mettre au jour un plan de 1948 qui consistait à aller empoisonner les villes allemandes avec des bactéries, qui n’a apparemment donné lieu à aucune action concrète.

« On ne sait pas comment les bactéries ont été obtenues non plus, dit M. Morris. Il faudra attendre la déclassification des archives militaires pour le savoir. »

Le terme « Jette ton pain » provient d’un passage du livre Ecclésiaste de l’Ancien Testament, qui porte sur l’importance d’utiliser de manière productive l’énergie que Dieu a donnée à l’humain.

Comment ont été accueillies les révélations de l’étude ? « Il n’y a presque pas eu de réaction médiatique ou politique, dit M. Morris. C’est renversant. Un ancien premier ministre me disait qu’il était choqué de voir comment des épisodes sombres de l’histoire israélienne ne scandalisent plus personne. »

Les nouveaux historiens

Benny Morris est le plus connu, à l’extérieur d’Israël, des « nouveaux historiens » qui, à partir des années 1980, ont examiné les côtés sombres de l’histoire d’Israël. Dans son livre The Birth of the Palestinian Refugee Problem, M. Morris a exposé les différentes dynamiques qui ont mené à l’exode palestinien, dont les expulsions par l’armée israélienne. Cela ne fait pas de M. Morris une colombe. « Je ne crois pas que la paix soit possible pour différentes raisons, notamment parce que, selon moi, les Palestiniens n’acceptent pas pour le moment le droit à Israël d’exister, dit-il. Je suis un pessimiste cosmique. »

En savoir plus
  • 5,9 millions
    Nombre de réfugiés palestiniens en 2019
    1,5 million
    Nombre de réfugiés palestiniens qui vivaient dans des camps de l’ONU en 2019
    Source : UNRWA
  • 700 000
    Nombre de réfugiés palestiniens en 1948
    Source : UNRWA