La communauté libanaise du Québec célèbre une mince défaite du Hezbollah au Liban dimanche dernier, une fête obscurcie par une crise économique catastrophique dans le pays.

Pour la deuxième fois depuis 2018, la diaspora libanaise du Québec a pu se rendre aux urnes dimanche pour exercer son droit de vote de l’autre côté de l’Atlantique. Résultat : le Hezbollah – parti politique chiite considéré comme une entité terroriste par plusieurs pays – et ses alliés politiques n’ont pas obtenu les 65 sièges nécessaires pour conserver leur majorité à l’Assemblée, qui compte 128 députés.

« C’est un Parlement qui sera désormais en plusieurs blocs, et non pas en un seul », résume Sami Aoun, politologue d’origine libanaise à l’Université de Sherbrooke. « Ça va entraîner du sang neuf, de l’oxygène », renchérit Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes de Paris. « Surtout, ça va faire que le Parlement ne sera plus aux ordres du Hezbollah. »

Parmi les grands gagnants du scrutin de dimanche figurent notamment les Forces libanaises, parti chrétien de l’opposition qui a axé sa campagne contre le Hezbollah, ainsi que des indépendants issus du mouvement de contestation antisystème déclenché en 2019 qui font leur entrée au Parlement.

Disons que la révolte d’octobre 2019 a fini par produire ses effets. Cette réaction du peuple a pu s’exprimer au profit de ces indépendants, ces révoltés, comme au profit de partis qui refusent que l’État soit aux ordres du Hezbollah.

Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes de Paris

Absentéisme et division

Les élections de dimanche ont aussi été marquées par un fort taux d’absentéisme. À Montréal, près de 9400 personnes sur les quelque 14 300 inscrites ont exercé leur droit de vote, selon Antoine Eid, consul général du Liban à Montréal. Il s’agit d’un taux de participation de 63 %.

« Je suis content que les jeunes de la diaspora soient allés voter », affirme Nayef Mustafa, de la boucherie Abu Elias, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal. « Le consulat a bien organisé ça. Il y avait des files, on sentait que les gens voulaient voter. »

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Nayef Mustafa, de la boucherie Abu Elias, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal

Pour Ramzi Jabbour, âgé de 49 ans et qui a exercé son droit pour la première fois dimanche, le geste était important. « C’est sûr que la participation était basse, convient-il. Mais si 10 membres du Parlement pour le changement avaient été élus, ceci aurait été un gain. Il y en a eu 14. »

Mais tous les électeurs du Québec n’ont pas voté pour la nouveauté, remarque Ruby Dagher, professeure de développement international à l’Université d’Ottawa d’origine libanaise. « Il y en a qui voulaient un changement et qui sont contents, qui sont un peu optimistes, fait-elle observer. Mais il y en a beaucoup qui ont voté pour l’establishment. La communauté est aussi divisée au Canada qu’elle l’est au Liban. »

Gérer la crise économique

Si les élections de dimanche dernier ont offert une lueur d’espoir parmi les opposants du Hezbollah, les frictions entre les différentes factions du nouveau gouvernement risquent de paralyser l’État. Ce vide institutionnel, qui pourrait s’installer jusqu’au printemps 2023, selon Joseph Bahout, professeur à l’Université américaine de Beyrouth, retarderait les réformes ambitieuses requises par le Fonds monétaire international pour sauver le Liban de la faillite.

« J’étais au Liban depuis deux mois et j’ai vu que, vraiment, les gens sont arrivés au bout », témoigne Marwan Elias, politicien libanais vivant au Québec. « Ils ne peuvent plus le tolérer. »

Depuis 2019, la monnaie nationale du Liban a perdu plus de 90 % de sa valeur. Les épargnants subissent des restrictions bancaires étouffantes, et près de 80 % de la population vit maintenant en dessous du seuil de pauvreté, selon l’ONU.

« Mon frère et moi, on est capables d’envoyer à ma mère 1000 $ par mois, mais elle ne trouve pas de produits, déplore M. Elias. Tu vas à la pharmacie, il n’y a pas de médicaments. Tu vas à la station-service, il n’y a pas d’essence. Aujourd’hui, si tu regardes les nouvelles libanaises, il n’y a pas de pain. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Shant Terzian et Jean Dahhou, deux clients rencontrés au café Chez Zaza

Malgré l’urgence, aucun plan de redressement n’a été mis sur pied par la classe dirigeante au Liban, accusée à la fois de corruption et de laisser couler le pays. « Je ne respecte aucun politicien au Liban ! », lance Jean Dahhou, attablé au café Chez Zaza, lieu de rencontre de la communauté libanaise de Saint-Laurent. À son côté, Shant Terzian, Syrien qui a habité dix ans au Liban, renchérit : « Le dernier gouvernement, il a tout volé. Il faudrait qu’ils changent tout le monde, pas juste quelques personnes. »

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 78 140
    Nombre de personnes d’origine libanaise au Québec en 2016
    42 960
    Nombre de personnes d’origine libanaise de première génération (nées à l’extérieur du Canada) au Québec en 2016
    Source : Statistique Canada, recensement 2016