(Téhéran) Le guide de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei, a recommandé jeudi aux Iraniens d’ignorer les appels au boycottage de la présidentielle du 18 juin, restant sourd aux critiques sur l’invalidation de candidats au scrutin où les ultraconservateurs apparaissent en position de force.

« Ne prêtez pas attention à ceux qui font campagne en disant qu’il est inutile d’aller voter », a déclaré l’ayatollah Khamenei, premier personnage de l’État et décideur ultime dans les principaux dossiers du pays, lors d’une rencontre en visioconférence avec les députés.

M. Khamenei, qui a donné son aval à la poursuite des discussions à Vienne sur le nucléaire iranien en vue d’obtenir la levée des sanctions contre son pays, a sorti du champ du débat présidentiel la question de l’avenir de l’accord sur le nucléaire conclu en 2015 entre l’Iran et la communauté internationale.

« Le problème principal du peuple », c’est « le chômage des jeunes » et « les moyens de subsistance de la classe défavorisée », c’est de ces questions que « les candidats doivent parler », a-t-il dit à la veille de l’ouverture officielle de la campagne électorale.

Les Iraniens sont appelés aux urnes le 18 juin pour élire un successeur au président Hassan Rohani, un modéré, dans un climat de mécontentement général face à la grave crise économique et sociale dans le pays.

Pour les réformateurs et les modérés qui gouvernent avec M. Rohani depuis 2013, la solution à ces problèmes réside dans les discussions de Vienne pour tenter de relancer l’accord de 2015 en y réintégrant les États-Unis.

Au contraire, les ultraconservateurs et bien des conservateurs accusent M. Rohani de s’exonérer de ses responsabilités en imputant les difficultés actuelles à la seule faute des États-Unis et des Européens : les premiers pour s’être retirés de ce pacte en 2018, les seconds pour n’avoir pas aidé Téhéran à contrer les effets dévastateurs des sanctions américaines contre l’Iran rétablies ou instituées depuis lors.

Arbitraire

Après la répression violente des vagues de contestation de décembre 2017-janvier 2018 et de novembre 2019, une nette défiance vis-à-vis du pouvoir s’exprime de plus en plus ouvertement.

Depuis plusieurs mois, des opposants en exil animent sur les réseaux sociaux une campagne de boycottage de l’élection, avec entre autres slogans, le mot-dièse « Non à la République islamique » en persan.

Mardi, l’annonce de la disqualification de l’ex-président du Parlement Ali Larijani (conservateur), propre conseiller de M. Khamenei, a déchaîné un flot de critiques contre le Conseil des gardiens de la Constitution.

Cet organe non élu, chargé de la validation des candidats et du contrôle de la présidentielle, est régulièrement accusé d’agir de manière arbitraire.

Quelque 600 personnes s’étaient portées candidates. Les Gardiens en ont autorisé sept à concourir, tous des hommes dont cinq ultraconservateurs, s’exposant aux critiques selon lesquelles l’élection serait organisée pour assurer la victoire du chef de l’Autorité judiciaire, Ebrahim Raïssi.

Forte abstention ?

Mercredi, M. Rohani a indiqué avoir écrit à l’ayatollah Khamenei pour lui demander de permettre plus de « concurrence ».

Après l’abstention record (57 %) aux législatives de 2020, il a dit craindre un nouveau pic abstentionniste risquant selon lui d’être préjudiciable à la « légitimité » de la République islamique.

« Certains se plaignent (du) Conseil des gardiens » ou expriment « des soucis pour la participation », mais « pour l’opinion publique, peu importe qui entre en lice, sous quel nom, avec quelle bannière ou pour quel courant » politique, a répondu jeudi M. Khamenei.

« Si les candidats peuvent prouver au peuple qu’ils sont efficaces, le peuple viendra aux urnes et la participation sera élevée, si Dieu le veut », a ajouté l’ayatollah octogénaire.

Selon un sondage réalisé jeudi par l’institut ISPA, l’un des rares autorisés en Iran, seuls 36 % des personnes interrogées auraient l’intention d’aller voter, contre 43 % il y a une semaine avant l’annonce de la liste finale des candidats.

Nombre de médias iraniens voyaient en M. Larijani la seule personne capable de faire de l’ombre à M. Raïssi.

Cet hodjatoleslam, rang inférieur à ayatollah dans le clergé chiite, sexagénaire avait obtenu 38 % des voix à la présidentielle de 2017 face à M. Rohani, qui ne peut se représenter cette année.

Face à l’épidémie de COVID-19, qui a fait près de 80 000 morts en Iran selon les chiffres officiels, largement sous-évalués, le ministère de la Santé a appelé à éviter les rassemblements pendant la campagne.