(Kaboul) Des dizaines d’Afghans ayant travaillé comme interprètes pour l’armée américaine malgré les risques encourus ont exprimé vendredi leur crainte d’être pris pour cibles par les talibans quand les États-Unis auront quitté leur pays, et supplié Washington de ne pas les abandonner.

Ces interprètes se sont réunis dans un quartier de Kaboul après la prière du vendredi, à la veille du début officiel du retrait des derniers soldats américains encore présents en Afghanistan.

« La chose principale que nous demandons, c’est qu’on devrait nous emmener aux États-Unis. C’est ce qu’on nous avait promis », a déclaré Mohammad Shoaib Walizada, un interprète afghan qui a travaillé pour l’armée américaine en opération de combat entre 2009 et 2013.

PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Mohammad Shoaib Walizada montre les cicatrices laissées par une blessure subie en 2011 alors qu'il agissait comme interprète auprès de l’armée américaine.

M. Walizada, 31 ans, a expliqué avoir été blessé à la jambe alors qu’il accompagnait une unité américaine en 2011 à Ghazni (est).

Le président Joe Biden a annoncé mi-avril que toutes les troupes américaines quitteraient l’Afghanistan d’ici le 11 septembre, date du 20e anniversaire des attentats de 2001, pour mettre fin à la plus longue guerre qu’aient connue les États-Unis.

Se présentant comme des « héros de guerre oubliés », des membres de ce groupe d’interprètes se sont plaints d’avoir vu leurs contrats avec les forces américaines et de l’OTAN brutalement rompus.

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Des milliers d’interprètes afghans ont quitté leur pays de naissance, après avoir obtenu des visas délivrés par les États-Unis ou des pays membres de l’OTAN.

Mais ces dernières années, il leur est devenu plus difficile d’obtenir ces visas, certains responsables américains plaidant qu’un djihadiste pourrait entrer aux États-Unis en se faisant passer pour l’un d’eux.

Dans un rapport publié au début avril, l’université américaine de Brown indiquait qu’en 2019 quelque 19 000 demandes de visas émanant d’Afghans ayant travaillé pour le gouvernement américain, comme interprètes ou sur des postes administratifs, n’avaient pas encore été traitées.

« Je vis dans la peur »

En 2020, après presque deux décennies de guerre, plus de 18 000 de ces demandeurs afghans et 45 000 membres de leur famille proche, avaient obtenu des visas et immigré aux États-Unis, selon ce même rapport.

« L’incapacité à mettre en œuvre le programme tel qu’il avait initialement été conçu laisse les demandeurs coincés en Afghanistan ou ailleurs et vulnérables face aux attaques des talibans ou des gangs criminels », ajoutait l’université.

Contactées par l’AFP, l’armée et l’ambassade des États-Unis n’ont pas immédiatement réagi.

Selon les interprètes réunis vendredi à Kaboul, près de 3000 d’entre eux dans tout le pays vivent constamment dans la peur des talibans et des autres groupes djihadistes, à cause de leur collaboration passée avec les forces étrangères.

« Quand les talibans ont appris que j’avais travaillé avec les forces américaines, ils ont tué mon frère », a raconté l’un d’entre eux, qui a requis l’anonymat par crainte de nouvelles représailles.

« Même la CIA a reconnu que c’étaient les talibans qui avaient tué mon frère. Depuis, je vis dans la peur et l’isolement », a-t-il ajouté.

Derrière lui, certains de ses collègues brandissaient une banderole avec cet appel : « Président Biden, ne nous tournez pas le dos ».

Une autre affiche montrait un homme pointant un pistolet vers un interprète, qui appelle vainement à l’aide un groupe de soldats américains montant à bord d’un hélicoptère.