(Dubaï) L’ONG Human Rights Watch (HRW) a accusé mardi les rebelles houthis du Yémen d’avoir lancé des « projectiles non identifiés » sur un centre de migrants à Sanaa, provoquant un incendie ayant fait des dizaines de morts, drame sur lequel l’ONU a réclamé une « enquête indépendante ».

Une vidéo obtenue auprès d’un témoin et vérifiée par l’AFP montre des dizaines de corps calcinés gisant les uns sur les autres dans un local sombre et délabré, dans laquelle on peut entendre cris et pleurs de survivants.

L’incendie a eu lieu le 7 mars dans un centre de rétention de la capitale yéménite, aux mains des rebelles houthis comme la majeure partie du nord du Yémen.

« Des dizaines de migrants sont morts brûlés […] après que les forces de sécurité des houthis ont lancé des projectiles non identifiés dans un centre de rétention pour migrants à Sanaa, provoquant un incendie », a dénoncé HRW dans un communiqué.

Une vidéo diffusée par l’ONG montre un bâtiment en feu, une épaisse fumée noire s’en dégageant et des migrants sous le choc après s’en être échappés. Quelques gardes et un tracteur arrivent sur les lieux alors que résonne une sirène.

Selon l’ONG, des gardes avaient enfermé dans un hangar des migrants, essentiellement éthiopiens, qui protestaient contre leurs conditions de détention. Ils ont ensuite lancé deux projectiles dont l’un « a explosé bruyamment et a déclenché un incendie ».

« J’étais terrifié […] Les gens toussaient, le matelas et les couvertures ont pris feu. Les gens ont été “rôtis” vivants. J’ai dû marcher sur des cadavres pour m’échapper », a raconté un migrant de 20 ans, cité par HRW.

Migrants rapatriés

Selon le ministère éthiopien des Affaires étrangères, une enquête est en cours pour déterminer le nombre d’Éthiopiens concernés.

« Nous avons reçu des informations selon lesquelles 43 personnes, dont de nombreux Éthiopiens, ont péri dans l’incendie », a déclaré Dina Mufti, porte-parole du ministère, en conférence de presse.

« Il doit y avoir une enquête indépendante sur les causes de l’incendie », a plaidé mardi Martin Griffiths, émissaire de l’ONU pour le Yémen, devant le Conseil de sécurité, confirmant que cet « incendie horrible et extraordinaire » avait fait des « dizaines de morts et plus de 170 blessés graves ».

Selon HRW, des centaines de survivants ont été soignés pour brûlures dans des hôpitaux de Sanaa étroitement gardés par des houthis, compliquant l’accès du personnel humanitaire aux blessés.

D’après des témoins interrogés par l’ONG, les forces de sécurité des houthis ont arrêté des migrants ayant pu s’échapper qui « n’étaient pas gravement blessés ».

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a demandé la semaine dernière un « accès humanitaire urgent » auprès des migrants.

« Certains (blessés) ont pu se rendre à Aden (sud), où ils se trouvent actuellement dans notre clinique », a déclaré Angela Wells, une porte-parole de l’OIM.

Quelque 140 Éthiopiens ont pu être rapatriés par un vol humanitaire depuis Aden, capitale provisoire contrôlée par le gouvernement yéménite.

À Aden justement, une trentaine de migrants éthiopiens ont manifesté devant les locaux d’organisations internationales pour exprimer leur colère après l’incendie meurtrier.

Témoin du drame à Sanaa, l’un d’eux, Osmane, raconte qu’ils avaient « fait la grève de la faim pour réclamer (leur) libération ou (leur) rapatriement ». Selon lui, les houthis leur ont dit : « On va vous faire manger de force et vous allez combattre avec nous au front ».  

Acheminement de l’aide

Les houthis sont régulièrement accusés par les organisations humanitaires d’entraver l’acheminement de l’aide dont 80 % de la population dépend dans ce pays très pauvre de la péninsule arabique.

Les rebelles ont qualifié ce drame de « normal », ajoutant qu’il aurait « pu se produire ailleurs » et en rejetant la responsabilité sur les organisations humanitaires qui n’apporteraient pas suffisamment d’aide, selon eux.

« L’incident […] ne devrait pas être politisé ou instrumentalisé », a déclaré à HRW Mohammed Abdelsalam, un porte-parole des houthis, selon le communiqué.

M. Abdelsalam a demandé l’ouverture de l’aéroport de Sanaa, sous blocus saoudien, pour que les migrants bloqués dans les territoires contrôlés par les rebelles « puissent rentrer chez eux ».

Depuis plus de six ans, le Yémen est ravagé par une guerre opposant les houthis, soutenus par l’Iran, aux forces gouvernementales, appuyées par une coalition militaire menée par l’Arabie saoudite.

Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés, selon des ONG. L’ONU a averti que le pays se rapprochait plus que jamais d’une famine à grande échelle faute de financement suffisant pour l’aide humanitaire.

Malgré cela, des migrants de la Corne de l’Afrique continuent de transiter par le Yémen dans l’espoir de rejoindre les riches pays du Golfe.