(Ryad) Face à la nouvelle diplomatie américaine, l’Arabie saoudite tente de laver son image ternie par la répression en « libérant » quelques prisonniers politiques et apaisant les tensions avec des pays rivaux dans la région.

L’ancien président américain, Donald Trump, avait largement fermé les yeux sur l’assassinat d’un journaliste critique et sur l’emprisonnement de dissidents en Arabie saoudite.

Joe Biden a quant à lui promis de faire du royaume saoudien un État « paria » pour ses atteintes aux droits humains.

La nouvelle administration souhaite toutefois, selon des analystes, préserver un partenariat stratégique précieux avec Riyad alors qu’elle cherche à relancer les négociations sur le nucléaire avec l’Iran, autre poids lourd de la région et rival de l’Arabie saoudite.

Quelques semaines après avoir scellé une réconciliation médiatisée avec le Qatar voisin après une longue rupture, Riyad vient d’accorder une liberté conditionnelle à des prisonniers politiques, dont la militante féministe Loujain al-Hathloul.  

L’Arabie saoudite cherche également l’apaisement avec un autre rival régional de poids, la Turquie : Riyad « fait baisser la température en gardant le contact ouvert avec (le président Recep Tayyip) Erdogan, bien que ce ne soit pas le grand amour », explique ainsi une source proche des dirigeants saoudiens.

« Flexibilité nouvelle »

Face à la volonté américaine de renouer avec l’Iran et de revoir sérieusement les liens avec Riyad, « les Saoudiens ont tenu à se présenter comme des partenaires dans la résolution des conflits dans la région », observe Kristin Diwan, de l’Arab Gulf States Institute.

Selon la chercheuse, la ligne dure de l’Arabie saoudite avait été défendue avec véhémence par Riyad au nom des « intérêts nationaux ».

Mais les récents développements témoignent d’une « flexibilité nouvelle », souligne-t-elle, face à une administration Biden qui a récemment annoncé la suspension des ventes d’armes à l’Arabie saoudite.  

Joe Biden a également annoncé la fin du soutien des États-Unis à l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen voisin, où elle appuie militairement les forces gouvernementales face aux rebelles houthis proches de l’Iran.  

Le président américain a fustigé une « catastrophe » en évoquant cette guerre qui a plongé le Yémen, déjà très pauvre, dans la pire crise humanitaire au monde, selon l’ONU.

Enfin, la nouvelle cheffe du Renseignement américain, Avril Haines, s’est engagée à rendre public un rapport confidentiel sur l’assassinat en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. La CIA avait déjà conclu que le prince héritier Mohammed ben Salmane était derrière cet assassinat commis au consulat saoudien à Istanbul.  

« Préserver les piliers »

Washington a néanmoins apporté son soutien à Riyad face aux attaques des houthis visant le territoire saoudien, sur lequel l’armée américaine étend d’ailleurs sa présence.

Le Wall Street Journal a ainsi fait état en janvier de projets de ports et de bases aériennes dans le désert occidental du royaume, que l’armée américaine chercherait à développer comme positions à utiliser si une guerre devait éclater avec l’Iran.

« Contrairement aux attentes, tout indique que l’administration Biden poursuivra une politique modérée envers le royaume », constate l’analyste saoudien Ali Shihabi pro-pouvoir.

Selon lui, le nouveau président cherche à « préserver les piliers » de la relation américano-saoudienne.

Pour s’en assurer, l’Arabie saoudite recrute aux États-Unis des lobbyistes à grands frais, comme le groupe Larson Shannahan Slifka (LS2), qui a signé un contrat de 1,5 million de dollars avec l’ambassade saoudienne en 2019, selon un document public.  

En décembre, LS2 a sous-traité au groupe Arena Strategy, basé dans le Wisconsin, des tâches telles que « informer le public, les responsables et les médias de l’importance de promouvoir des relations solides » entre États-Unis et Arabie saoudite, selon un autre document consulté par l’AFP.  

L’arrivée de Joe Biden a certes « beaucoup aidé et contribué » à obtenir la libération de Loujain al-Hathloul la semaine dernière après quasiment trois ans de prison, selon sa sœur Alia al-Hathloul. Mais la célèbre militante reste sous le coup d’une condamnation avec sursis et ne peut quitter le territoire.

Cette poignée de libérations relève du geste « symbolique » pour calmer le président américain, pendant que des centaines d’autres détenus croupissent toujours dans les prisons du royaume, a déclaré à l’AFP un proche d’un Saoudien en détention.