(Kaboul) La direction des talibans se rassemblait samedi à Kaboul pour définir les contours d’un gouvernement « inclusif », alors que la gigantesque opération d’évacuation dans la capitale afghane, « l’une des plus difficiles de l’histoire » selon Joe Biden, se poursuivait dans le chaos.

Le cofondateur et numéro deux des talibans, Abdul Ghani Baradar, est arrivé samedi à Kaboul après avoir passé deux jours à Kandahar, berceau du mouvement.

Ce mollah, qui dirigeait jusque là le bureau politique des talibans au Qatar, va « rencontrer des responsables djihadistes et des responsables politiques pour l’établissement d’un gouvernement inclusif », a déclaré à l’AFP un haut responsable taliban.

D’autres leaders du mouvement ont été aperçus dans la capitale afghane ces derniers jours, dont Khalil Haqqani, l’un des terroristes les plus recherchés au monde par les États-Unis, qui ont promis une récompense de 5 millions de dollars contre des informations permettant sa capture.

Des réseaux sociaux protalibans ont montré Haqqani rencontrant Gulbuddin Hekmatyar, considéré comme l’un des chefs de guerre les plus cruels du pays pour avoir notamment bombardé Kaboul durant la guerre civile (1992-96). Hekmatyar, surnommé « le boucher de Kaboul », était un rival des talibans avant que ceux-ci ne prennent le pouvoir entre 1996 et 2001.

Ces mêmes réseaux ont annoncé quelques heures plus tard « l’allégeance » à leur mouvement d’Ahmad Massoud, le fils du commandant Ahmad Shah Massoud, connu pour son opposition au groupe fondamentaliste.

Ahmad Massoud, qui plus tôt cette semaine avait demandé des armes aux États-Unis pour se défendre contre le nouveau pouvoir dans sa vallée du Panchir (au nord-est de Kaboul), ne s’est pas encore prononcé officiellement sur le sujet.  

Depuis l’arrivée de Baradar sur le sol afghan, les talibans ont assuré que leur règne serait « différent » du précédent (1996-2001), marqué par son extrême cruauté notamment à l’égard des femmes. Ils ont répété vouloir former un gouvernement « inclusif », sans toutefois entrer dans les détails.

Dans l’attente d’un miracle

Mais six jours après leur prise de contrôle, le devenir politique de l’Afghanistan préoccupe moins la communauté internationale que l’évacuation, dans le chaos le plus total, de milliers d’Afghans.

Samedi, les routes menant à l’aéroport de Kaboul continuaient d’être congestionnées. Malgré des jours d’échec, des milliers de familles se massaient encore devant l’aérodrome, espérant monter par miracle dans un avion. Devant elles, des militaires américains et une brigade des forces spéciales afghanes se tenaient aux aguets pour les dissuader d’envahir les lieux.

PHOTO OMAR HAIDARI, VIA REUTERS

Nouvelle incarnation du désespoir, une vidéo d’un soldat américain soulevant un bébé par-dessus les barbelés surplombant l’aéroport a fait le tour du monde.

Derrière eux, des talibans, désormais accusés de traquer des Afghans ayant travaillé pour l’OTAN pour les arrêter et de restreindre l’accès à l’aéroport qu’ils souhaitent quitter à tout prix, observaient la scène.

Samedi, l’ambassade américaine à Kaboul a appelé ses ressortissants à éviter de s’approcher de l’aéroport de Kaboul pour cause de « potentielles menaces de sécurité ».

« Nous conseillons aux citoyens américains d’éviter de se déplacer vers l’aéroport et d’éviter les portes de l’aéroport pour le moment, à moins que vous ne receviez des instructions individuelles d’un représentant du gouvernement américain pour ce faire », détaille le bulletin publié sur le site internet de l’ambassade.  

Nouvelle incarnation du désespoir, une vidéo d’un soldat américain soulevant un bébé par-dessus les barbelés surplombant l’aéroport a fait le tour du monde. « Les parents ont demandé aux Marines de s’occuper du bébé parce qu’il état malade », a expliqué John Kirby, le porte-parole du Pentagone.

« C’était un acte de compassion », a-t-il ajouté, quelques jours après que des avions américains ont décollé malgré la présence d’Afghans dans leur train d’atterrissage, provoquant plusieurs chutes mortelles.  

La gigantesque opération d’évacuation à Kaboul, qualifiée par Joe Biden de « l’une des plus difficiles de l’histoire », mobilise depuis une semaine, dans des conditions chaotiques, des avions du monde entier pour évacuer par l’aéroport de la capitale afghane des diplomates, d’autres étrangers et des Afghans fuyant un pays tombé aux mains des talibans.

« Je ne peux pas promettre ce qu’en sera l’issue finale » ni qu’il n’y aura pas « de risques de pertes » en vies humaines, a déclaré le président américain.

« Listes prioritaires »

Les États-Unis, qui prévoient d’évacuer plus de 30 000 Américains et civils afghans via leurs bases au Koweït et au Qatar, affirment avoir déjà fait sortir plus de 13 000 personnes depuis le 14 août.

La pression va crescendo pour obtenir les places restantes, alors que, selon un rapport d’un groupe d’experts travaillant pour l’ONU, les talibans possèdent des « listes prioritaires » d’Afghans recherchés, les plus menacés étant les gradés de l’armée, de la police et du renseignement.

Le rapport indique que les talibans effectuent des « visites ciblées » chez les personnes recherchées et leurs familles. Leurs points de contrôle filtrent aussi les Afghans dans les grandes villes et ceux souhaitant accéder à l’aéroport de Kaboul.

Insécurité alimentaire

PHOTO NICHOLAS GUEVARA, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’économie afghane, sinistrée, dépend pour beaucoup de l’aide internationale.

Les talibans ont dit vouloir établir de « bonnes relations diplomatiques » avec tous les pays, mais prévenu qu’ils ne feraient aucun compromis sur leurs principes religieux.  

La Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran ont émis des signaux d’ouverture, les pays occidentaux restant méfiants.

Les talibans ont demandé aux imams de prêcher l’unité et d’appeler les personnes éduquées à ne pas fuir lors de la prière du vendredi, la première depuis leur accession au pouvoir.

Samedi, ils empêchaient pourtant les fonctionnaires de retourner travailler dans les bâtiments publics. « Ils nous ont renvoyés chez nous », a raconté à l’AFP un fonctionnaire de la mairie de Kaboul. « Je suis venu avec beaucoup d’espoir, mais suis reparti déçu. »