(Hérat) Les talibans, qui enchaînent les conquêtes-clés, ont revendiqué vendredi la prise de la deuxième ville d’Afghanistan, Kandahar, après s’être rapprochés de Kaboul, où les États-Unis ont décidé de renvoyer des milliers de troupes, officiellement pour évacuer leurs diplomates.

« Kandahar est totalement prise. Les moudjahidine ont atteint la place des Martyrs dans la ville », a tweeté un porte-parole sur un compte officiel des talibans.

Un habitant a confirmé à l’AFP que les forces gouvernementales s’étaient apparemment retirées vers des positions hors de Kandahar, capitale de la province méridionale du même nom.

Si sa chute est confirmée, après celles coup sur coup jeudi de la troisième ville du pays, Hérat, dans l’Ouest, et Ghazni, à seulement 150 km au sud-ouest de Kaboul, cela ne laisserait plus que la capitale et quelques autres territoires sous contrôle du gouvernement afghan.

Les talibans se sont aussi emparés vendredi de Lashkar Gah, capitale de la province du Helmand, dans le sud de l’Afghanistan, après avoir laissé l’armée et les responsables politiques et administratifs évacuer la ville, a-t-on appris de source sécuritaire.

« Lashkar Gah a été évacuée. Ils ont décidé d’un cessez-le-feu de 48 heures pour évacuer » l’armée et les responsables civils, a déclaré à l’AFP un haut responsable sécuritaire. Les talibans avaient un peu auparavant revendiqué la prise de la ville.

Les talibans ont aussi pris sans résistance vendredi matin Chaghcharan, capitale de la province de Ghor, dans le centre du pays, a indiqué à l’AFP le porte-parole du gouverneur, Zalmai Karimi.

En raison de « l’accélération » de cette avancée, Washington a décidé de « réduire encore davantage » sa « présence diplomatique » à Kaboul « dans les prochaines semaines », a annoncé le porte-parole du département d’État Ned Price.

8000 soldats remobilisés

Pour mener à bien cette évacuation de diplomates américains, le Pentagone va déployer 3000 soldats à l’aéroport international de la capitale, a précisé son porte-parole John Kirby. Un millier d’autres seront envoyés au Qatar en soutien technique et logistique, tandis que 3500 à 4000 vont être prépositionnés au Koweït pour faire face à une éventuelle dégradation de la situation.

En tout, ce sont donc près de 8000 militaires américains qui sont remobilisés, et ce en plein retrait total d’Afghanistan des troupes des États-Unis et de la coalition internationale, qui doit prendre fin le 31 août au plus tard.

Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à quitter l’Afghanistan.

« Il ne s’agit pas d’un réengagement militaire dans le conflit », a assuré la diplomatie américaine, tandis que le Pentagone a également affirmé qu’il n’utiliserait pas cet aéroport pour des frappes contre les talibans.

Mais ce redéploiement massif — il ne restait plus que 650 soldats américains dans tout le pays — peut être interprété comme un message adressé aux insurgés pour qu’ils ne s’attaquent pas à Kaboul et à son aéroport.

Ces évacuations interviennent alors que les rebelles, sourds aux avertissements diplomatiques des États-Unis et de la communauté internationale, continuent d’avancer à un rythme effréné.

Trois jours de réunions internationales à Doha, au Qatar, se sont en effet achevés jeudi sans avancée significative. Dans une déclaration commune, les États-Unis, le Pakistan, l’Union européenne et la Chine ont affirmé qu’ils ne reconnaîtraient aucun gouvernement en Afghanistan « imposé par la force ».

« Partage du pouvoir »

Mais le gouvernement afghan a désormais perdu le contrôle de la plupart des territoires du nord, du sud, et de l’ouest de l’Afghanistan. En une semaine, les talibans ont pris le contrôle de 13 des 34 capitales provinciales afghanes, et d’autres semblent près de tomber.

Ils risquent donc à ce stade de n’être nullement enclins au compromis, alors que les autorités leur ont proposé en catastrophe « de partager le pouvoir en échange d’un arrêt de la violence », selon un négociateur gouvernemental aux pourparlers de Doha, qui a requis l’anonymat.

Le président afghan, Ashraf Ghani, avait toujours rejeté jusqu’ici les appels à la formation d’un gouvernement provisoire non élu comprenant les talibans. Mais son revirement risque d’être bien tardif.

« L’Afghanistan fonce vers un immense désastre, prévisible et qui aurait pu être évité », a fustigé jeudi le chef des républicains au Sénat américain, Mitch McConnell, fustigeant « la politique dangereuse » du président Joe Biden.  

A Hérat, à 150 km de la frontière iranienne et capitale de la province du même nom, les insurgés « ont tout pris », a indiqué jeudi à l’AFP un haut responsable des forces de sécurité sur place, précisant que les forces afghanes avaient battu en retraite « pour empêcher plus de dommages ».  

Les talibans « ont hissé leurs drapeaux partout dans la ville », a raconté à l’AFP Masoom Jan, un habitant, expliquant que les gens avaient « été pris par surprise ». « Nous avons vraiment peur, nous sommes pris au piège, nous ne pouvons même pas quitter la ville en pleine nuit. ».

Les talibans avaient hissé leur drapeau au-dessus du siège de la police de Hérat en fin de journée, a rapporté un correspondant de l’AFP, précisant qu’ils n’avaient rencontré aucune résistance.

Zabihullah Mujahid, un porte-parole des talibans, a confirmé la prise de la ville sur Twitter, affirmant que des soldats avaient « abandonné les armes et rejoint » le groupe.

Plus tôt dans la journée, le gouvernement a reconnu la chute de Ghazni, capitale provinciale la plus proche de Kaboul conquise jusqu’ici par les insurgés depuis qu’ils ont lancé leur offensive début mai, à la faveur du début du retrait international. « L’ennemi a pris le contrôle de Ghazni […] Il y a des combats et de la résistance » de la part des forces de sécurité, a affirmé Mirwais Stanikzai, porte-parole du ministère de l’Intérieur.

Selon une source sécuritaire, Qala-e-Naw, capitale de la province de Badghis, voisine de Hérat, a également été prise.

Les combats dans tout le pays ont un fort impact sur la population civile. Au moins 183 civils ont été tués, dont des enfants, en un mois à Lashkar Gah, Kandahar, Hérat et Kunduz.

Nombre de civils ont afflué ces derniers jours à Kaboul, où une grave crise humanitaire menace. Ils tentent désormais de survivre dans des parcs ou sur des terrains vagues, dans le dénuement le plus complet.

Les forces internationales doivent avoir quitté l’Afghanistan d’ici le 31 août, vingt ans après leur intervention pour chasser les talibans du pouvoir, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.

Trump tient Biden pour responsable des avancées des talibans

L’ex-président américain Donald Trump a tenu jeudi son successeur Joe Biden pour responsable des avancées militaires des talibans en Afghanistan, estimant que la situation actuelle était « inacceptable ».

« Si j’étais président actuellement, le monde saurait que notre retrait d’Afghanistan était soumis à des conditions », a affirmé M. Trump dans un communiqué.

« Cela aurait été un retrait bien différent et un retrait bien plus réussi et les talibans le savaient mieux que quiconque », a-t-il ajouté.

« J’ai eu personnellement des entretiens avec des dirigeants talibans qui avaient compris que ce qu’ils font aujourd’hui n’aurait pas été toléré », a-t-il assuré.

Donald Trump, qui a perdu l’élection de novembre 2020, mais qui reste une force au sein du parti républicain, n’a pas précisé comment il aurait empêché les avancées des insurgés.

C’est sous son autorité que les États-Unis ont le 29 février 2020 signé un accord avec les talibans dans lequel Washington s’engageait à retirer l’ensemble des forces américaines d’Afghanistan avant le 1er mai 2021.

En contrepartie, les talibans s’engageaient à entamer des négociations de paix avec le gouvernement afghan, à s’abstenir d’attaquer les forces américaines et leurs intérêts en Afghanistan et à couper tout lien avec Al-Qaïda.

Après la signature de cet accord, l’administration Trump avait fortement réduit la présence militaire américaine en Afghanistan et s’était engagée à respecter la date butoir du 1er mai pour un retrait total du pays.

Les réductions d’effectifs militaires américains en Afghanistan se sont poursuivies après l’élection de novembre, et lorsque M. Biden a pris ses fonctions le 20 janvier, il ne restait plus que 2500 militaires américains et 16 000 auxiliaires civils dans le pays.

Joe Biden a suspendu les opérations de retrait à son arrivée à la Maison-Blanche pour se donner le temps d’analyser la situation et en avril, il a confirmé le retrait militaire total d’Afghanistan.

La date avait été repoussée initialement au 11 septembre, puis au 31 août.