Son procès pour corruption et abus de confiance devait commencer le 17 mars. Puis, les premiers cas de COVID-19 sont apparus en Israël. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou a réagi promptement. Il a interdit les rassemblements publics. Il a décrété des pouvoirs extraordinaires qui permettent d’utiliser les fines méthodes de géolocalisation, habituellement utilisées contre le terrorisme, pour suivre les déplacements des Israéliens.

Il a également suspendu les travaux de la Knesset, le Parlement israélien. Et ceux des tribunaux – dont celui qui devait juger sa propre cause, qui a été reportée au 24 mai.

La pandémie qui se répand sur la planète a été une véritable bénédiction pour le leader israélien, qui cumule 13 années, dont 11 successives, au poste de premier ministre.

Non seulement elle a permis d'écarter temporairement le spectre d’un procès, qui devait commencer au moment très délicat de discussions en vue de la formation du prochain gouvernement, mais elle lui a aussi permis de redorer son blason et de renforcer sa position dans ces négociations.

Nétanyahou utilise la crise de coronavirus de façon très intelligente pour apparaître comme un leader efficace. C’est un maître politicien et un maître manipulateur, mais c’est aussi un bon administrateur.

Yossi Alpher, politologue israélien

L’épidémie joue en faveur de Benyamin Nétanyahou, renchérit Tamar Hermann, directrice du Centre Guttman sur l’opinion publique et la recherche politique à Tel-Aviv.

« Quand les gens sont inquiets, ils se rassemblent derrière le drapeau, ils ne souhaitent pas de changement de leadership, et Nétanyahou est le politicien le plus expérimenté », note Mme Hermann.

Benyamin Nétanyahou a déjà tablé sur cette unité face à l’adversité dans le passé, en invoquant la menace militaire. Cette fois, il n’a pas besoin d’une guerre. Il y a la pandémie.

Corona Coup

C’est en invoquant cette menace qu’il a dissous le Parlement, tandis que le président de la Chambre, qui est un proche du premier ministre, a longtemps refusé de quitter son poste, ce qui a placé Israël dans un état de crise constitutionnelle, note Yossi Alpher. Au point que certains commentateurs parlent de Corona Coup – un coup d’État au nom de la lutte contre l’épidémie.

Des opposants ont défié l’interdiction qui pèse sur les rassemblements publics pour dénoncer cette manœuvre politique. Leur slogan : « J’ai plus peur de perdre la démocratie que d’être infecté par le coronavirus. »

PHOTO SEBASTIAN SCHEINER, ASSOCIATED PRESS

Une manifestante anti-Nétanyahou brandit un drapeau israélien au cours d'un rassemblement tenu lundi. Les groupes de l'opposition reprochent au premier ministre d'utiliser la pandémie de COVID-19 pour rester au pouvoir et affaiblir les institutions démocratiques.

Depuis, la Cour suprême israélienne a forcé le parti au pouvoir à revenir sur ces deux décisions. Et mercredi, le président de la Knesset Yuli Edelstein a fini par céder et a donné sa démission.

En attendant, l’impasse en vue de la formation du gouvernement reste entière.

Rappelons que le 2 mars dernier, les Israéliens ont voté pour élire leurs députés. C’étaient les troisièmes législatives en moins d’un an. Le pays est ultra-divisé. Lors des deux votes précédents, en avril et septembre 2019, aucun des deux grands partis – le Likoud de Benyamin Nétanyahou et le parti Bleu et Blanc de Benny Gantz – n’est parvenu à rassembler une coalition suffisante pour former un gouvernement.

Cette fois, le président israélien Reuven Rivlin a demandé à Benny Gantz, qui pouvait compter sur l’appui de 61 des 120 députés de la Knesset, de former le prochain gouvernement.

Mais son avance est faible. Et elle repose sur deux alliances contradictoires : d’un côté, le parti d’Avigdor Liberman, un politicien laïque et anti-arabe ; de l’autre, le bloc de 15 députés arabes, qui sont devenus la troisième force politique en Israël.

Pas sûr que les deux groupes, même s’ils appuient officiellement Benny Gantz, voudront siéger ensemble au sein d’un même gouvernement.

À double tranchant

Autrement dit, la position de Benny Gantz est très fragile. Face à lui, Nétanyahou, premier ministre par intérim, a décidé de jouer la carte d’un gouvernement d’union. En d’autres mots, de rassembler les deux grandes forces politiques au sein d’un même gouvernement.

Or, l’épidémie de COVID-19 renforce sa position. Sa proposition : rester premier ministre pendant les 18 prochains mois, avant de céder le poste à son rival Benny Gantz.

L’idée d’un gouvernement d’union a l’appui du public, note Tamar Hermann. « Plusieurs voient un gouvernement d’unité nationale comme la meilleure option dans les circonstances. »

Au risque de permettre à Benyamin Nétanyahou de prolonger son mandat au-delà de la date de son procès.

Mais la stratégie de Nétanyahou pourrait aussi se retourner contre lui, avertit Tamar Hermann. Si les choses tournent mal, si l’épidémie fait trop de ravages, si les autorités abusent de leurs nouveaux pouvoirs, il pourrait en payer le prix politique.

« C’est comme pour les opérations militaires, note Tamar Hermann. Au début, les gens les appuient. Mais il suffit d’un dérapage pour que l’opinion publique se renverse. »