Conjectures sur les causes de l’écrasement, rôle du Canada et des États-Unis dans l’enquête, conséquences pour Boeing : La Presse tente d’y voir clair dans l’écrasement qui a coûté la vie à 176 personnes mercredi en Iran.

Y a-t-il un lien entre les causes de l’accident et la situation conflictuelle entre l’Iran et les États-Unis ?

La proximité dans le temps entre l’envoi par l’Iran de missiles à destination d’une base militaire internationale en Irak et l’écrasement soulève des questions, mais rien ne permet d’établir un tel lien pour le moment. En fait, la cause demeure complètement mystérieuse. Ni les autorités iraniennes ni le transporteur Ukraine International Airlines ne se sont avancés à ce sujet.

Certains témoignages ont fait état d’un moteur qui aurait pris feu. Une vidéo ayant circulé en ligne, mais non authentifiée, montre au loin ce qui semble être un avion en flammes perdant de l’altitude dans un ciel noir, jusqu’à une explosion à proximité du sol.

Des photos de la carcasse de l’appareil ont aussi montré des trous ayant alimenté les conjectures, comme si l’avion avait été la cible de tirs. Il n’est toutefois pas impossible que ces trous aient été provoqués par des débris de l’avion lui-même, particulièrement du moteur.

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, a indiqué dans une conférence de presse mercredi après-midi que des informations obtenues du système de positionnement Aireon montraient une progression normale lors des premières minutes du vol.

« Puis nous avons perdu contact avec lui, ce qui laisse présager que quelque chose de très anormal s’est produit », a-t-il avancé.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau et Marc Garneau, ministre fédéral des Transports

L’agence Reuters a écrit en citant une source anonyme canadienne que les services de sécurité occidentaux ne croyaient pas que l’avion avait été atteint par un missile, mais plutôt qu’il avait été victime d’un bris mécanique.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est pour sa part déclaré incapable en ce moment de se prononcer dans un sens ou dans l’autre à savoir si l’avion avait été abattu.

Est-ce que les États-Unis pourront participer à l’enquête ?

Les enquêtes sur les accidents d’avion sont régies par l’annexe 13 de la Convention de Chicago, le pacte à l’origine de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), dont le siège social est à Montréal. L’Iran a ratifié cette convention en 1950.

Celle-ci prévoit que l’enquête est d’abord la responsabilité du pays où survient l’accident, l’Iran dans ce cas-ci. Les pays de l’exploitant (Ukraine), d’immatriculation (Ukraine), de conception (États-Unis) et de construction (États-Unis) de l’avion peuvent demander qu’un ou plusieurs de leurs représentants participent à l’enquête.

Les autorités iraniennes ont rapidement laissé savoir qu’elles n’avaient pas l’intention de partager les contenus des boîtes noires de l’appareil avec les États-Unis ou Boeing.

Cela ne durera pas, prévoit toutefois Brian Havel, directeur de l’Institut du droit aérien et de l’espace de l’Université McGill.

« Il va y avoir un effort pour fonctionner à l’intérieur du système, qui marche bien », estime-t-il.

« Ce type d’enquête ne cherche pas à blâmer quelqu’un, mais à comprendre ce qui s’est passé, pour améliorer la sécurité. »

Certaines des premières indications parlent d’un problème de moteur. Ce serait d’un très grand intérêt international si c’était le cas.

Brian Havel, directeur de l’Institut du droit aérien et de l’espace de l’Université McGill

Si l’Iran devait s’obstiner, l’assemblée générale de l’OACI pourrait théoriquement s’en mêler, explique M. Havel.

« N’importe lequel des 193 pays membres peut présenter une résolution pour que l’assemblée demande à l’Iran d’ouvrir l’accès. » Un refus de l’Iran pourrait mener jusqu’à son expulsion, selon M. Havel, qui juge toutefois ce scénario peu probable.

« Il n’y a pas de précédent où un pays a pu évoquer des raisons politiques pour ne pas respecter les règles. »

Et le Canada ?

Le Canada, qui n’entretient plus de relations diplomatiques avec l’Iran, a formellement offert son aide à l’Ukraine. Dans une conférence de presse tenue en après-midi mercredi, le premier ministre Trudeau a aussi indiqué que son ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, devait s’entretenir directement, un peu plus tard, avec son homologue iranien afin de demander que le Canada participe à l’enquête.

« Il y a deux raisons pour lesquelles l’offre du Canada pourrait être acceptée : à cause du nombre de passagers de citoyenneté canadienne et en raison du fait que nous participons à plusieurs enquêtes grâce aux connaissances de nos experts, puisque nous sommes reconnus comme l’un des départements avec le plus d’expertise dans le monde », a indiqué mercredi matin le porte-parole du ministre des Transports Marc Garneau, William Harvey-Blouin.

En raison de la présence de Bombardier, le Canada dispose, avec les États-Unis, l’Europe et le Brésil, de l’une des quatre agences de certification d’aéronefs les plus reconnues.

En 2014, l’Ukraine avait accepté de déléguer la coordination de l’enquête sur l’écrasement d’un vol de Malaysia Airlines sur son territoire aux autorités néerlandaises, en raison du fort nombre de Néerlandais à bord. Les Pays-Bas avaient conclu que l’avion avait été abattu par un missile russe.

Quelles seront les conséquences pour Boeing ?

L’appareil qui s’est écrasé est un Boeing 737-800 construit en 2016, ce qui est très récent dans le domaine de l’aviation. Il fait néanmoins partie de la génération précédente des appareils 737, connue sous l’appellation « NG » pour « Next Generation », et non de la génération plus récente, baptisée « MAX » et clouée au sol depuis mars dernier à la suite de deux écrasements, ce qui a plongé Boeing dans l’une des pires crises de son histoire.

Plus de 7000 exemplaires de la génération NG ont été livrés par Boeing depuis 1996, ce qui en fait l’un des avions les plus communs au monde. Ils ont déjà effectué des millions de vols. Il semble donc peu probable que l’enquête démontre une faille importante liée à la conception de l’appareil et nuise sérieusement à Boeing.