L’une est chrétienne, l’autre, musulmane. L’une vit dans un quartier chrétien de Beyrouth, l’autre, dans un quartier chiite. L’une travaille comme agente de sécurité, l’autre est travailleuse sociale.

Dans La mer entre nous, documentaire qui sera projeté cette semaine aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), la réalisatrice québécoise Marlene Edoyan scrute les stigmates des 15 années de la guerre civile qui a déchiré le Liban entre 1975 et 1990, à travers le quotidien de deux Libanaises qui vivent à quelques kilomètres l’une de l’autre, mais qui pourraient aussi bien habiter des planètes différentes.

Dans l’une des premières scènes du documentaire, on suit Wafaa, la chrétienne maronite, alors qu’elle tente de donner une formation de combat à son fils adolescent.

Pendant la guerre, Wafaa était proche des milices phalangistes. Encore aujourd’hui, elle milite au sein du parti des Phalanges chrétiennes. Mais son fils Anthony, qu’elle entraîne dans des sentiers raboteux, est loin, très loin de cet univers militaire. Il n’a envie ni de tirer du fusil ni de ramper sur des cailloux. « Je suis trop gros », laisse-t-il tomber.

« Je n’ai pas l’impression que la défense t’intéresse », lui lance Wafaa, un peu décontenancée.

« Bien sûr que non », lui rétorque le garçon, la tête enfouie sous le capuchon de son coton ouaté.

PHOTO BRYAN DENTON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

La guerre civile libanaise a beau s’être arrêtée il y a presque 30 ans, elle est toujours présente dans la psyché des Libanais, et aussi dans la géographie du pays.

Le film culmine avec les élections de mai 2018, auxquelles Hayat, la travailleuse sociale chiite, a décidé de ne pas voter. Une décision qui suscite l’indignation de ses proches. « Ceux qui ne votent pas sont des agents des phalangistes », lui lance sa propre sœur.

Hayat éclate de rire. La caméra se tourne alors vers sa nièce. « Est-ce qu’on veut s’apitoyer sur le passé ou faire la paix et aller de l’avant ? », demande la jeune femme, ajoutant que, selon elle, chacun est libre de ses convictions.

La guerre, encore et toujours

La guerre civile libanaise a beau s’être arrêtée il y a presque 30 ans, elle est toujours présente dans la psyché des Libanais, et aussi dans la géographie du pays. « Ici, il n’y a plus de chrétiens », s’étonne encore Wafaa, en expliquant qu’il y a des quartiers où elle n’oserait pas s’aventurer.

« Après tout ce qui s’est passé, peut-on encore vivre avec eux ? », demande-t-elle.

Élevée au Liban dans une famille arménienne, Marlene Edoyan a connu la fin de la guerre civile – les années particulièrement féroces durant lesquelles les factions chrétiennes s’entredéchiraient.

Son premier documentaire, Figure d’Armen, réalisé en 2012, l’avait menée sur les routes du pays de ses ancêtres. La mer entre nous explore plutôt les contrecoups d’un conflit qui s’est officiellement terminé il y a trois décennies, mais qui continue à faire écho dans l’esprit des gens.

Si Wafaa reste très accrochée à la mémoire de la guerre civile, Hayat, elle, est plutôt partisane du dialogue et de la réconciliation. « Je suis pacifiste, mais si quelqu’un m’attaque, je vais le déchirer avec mes dents », finit-elle par laisser tomber, malgré tout.

Nouvelle génération

Marlene Edoyan a eu l’idée de filmer le Liban d’aujourd’hui après y être retournée pour y présenter son premier film, en 2014. Le Liban recevait alors une vague de réfugiés syriens, dont la présence a ravivé les tensions. Parallèlement, toute une nouvelle génération essayait de rompre avec le sectarisme hérité des parents.

« Avec ce qui se passait en Syrie, le Liban n’était plus le même pays : la tension, la haine, la xénophobie montaient partout, mais les jeunes, eux, étaient différents, ils étaient très ouverts, brillants, instruits… »

Des jeunes comme Anthony, qui n’a aucune envie de militer avec les phalangistes. « Je ne veux pas être dans votre parti, no way ! », lance-t-il à sa mère.

D’une certaine façon, le documentaire de Marlene Edoyan annonce le mouvement social qui agite le Liban depuis un mois. Mouvement de protestation mené par des jeunes qui en ont assez des divisions sectaires paralysantes, dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus.

La mer entre nous, de Marlene Edoyan, le 22 novembre, à 20 h 30, au Cinéma du Parc, et le 23 novembre, à 15 h 30, à la Cinémathèque québécoise, dans le cadre des RIDM