La double attaque contre des installations pétrolières saoudiennes, samedi à l’aube, était-elle le fait de rebelles houthis, ces chiites du Yémen en guerre depuis 2015 contre une coalition menée par Riyad, et qui ont rapidement revendiqué l’attentat ?

Ou bien les missiles venaient-ils du nord, de l’Irak, où des milices chiites ont déjà attaqué des oléoducs saoudiens dans le passé ? Ou encore ont-ils carrément survolé le détroit d’Ormuz, en provenance de l’Iran ?

D’ailleurs, s’agissait-il de missiles, de drones ou d’un mélange des deux ?

Deux jours après que 17 charges explosives ont mis le feu à deux importantes exploitations pétrolières saoudiennes, à Abqaïq et à Khurais, provoquant une flambée des cours du brut dans leur sillage, les paris restaient ouverts, hier, tant sur les armes utilisées que sur l’origine de ces attaques d’une intensité inédite.

Mais dans toute cette incertitude, un élément paraissait hautement probable : de près ou de loin, l’Iran a eu un rôle à jouer dans l’escalade du week-end.

Nous ignorons qui est responsable des attaques, nous ne savons pas qui a actionné les bombes, mais il n’existe aucun scénario excluant complètement l’Iran.

Thomas Juneau, expert du Moyen-Orient à l’Université d’Ottawa

D’abord, parce que Téhéran entretient des liens tant avec les houthis du Yémen qu’avec certaines milices chiites en Irak. Cela ne signifie pas qu’il tire les ficelles et que ces groupes armés lui obéissent au doigt et à l’œil, nuance Thomas Juneau. Mais les houthis reçoivent de l’équipement militaire de plus en plus lourd de Téhéran, ce qui leur a d’ailleurs permis de se renforcer militairement au fil des ans. Comme le confirme un rapport de l’ONU publié en 2018, les houthis possèdent notamment des missiles iraniens dotés d’une autonomie de vol de plus de 1000 kilomètres.

Ces derniers mois, les rebelles houthis ont d’ailleurs multiplié les attaques contre des pipelines et des aéroports saoudiens, à une échelle beaucoup plus modeste que les attaques de samedi, mais déployant tantôt des drones, tantôt des missiles balistiques.

« L’Iran fournit aux houthis un soutien militaire, technique, des conseillers, des pièces de missiles », énumère Thomas Juneau.

Mais les attaques de samedi s’inscrivent aussi, selon lui, dans une stratégie cohérente. Téhéran veut dissuader les puissances étrangères de l’attaquer. Mais il veut aussi utiliser la situation explosive actuelle comme argument pour convaincre la communauté internationale de lever les sanctions économiques qui font très mal à l’économie du pays.

La politique iranienne n’est peut-être pas si logique que cela, proteste Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada, à Kingston.

« Les Iraniens ont averti plusieurs fois que s’ils ne peuvent pas exporter leur pétrole [à cause des sanctions], d’autres pays ne devraient pas pouvoir le faire non plus », souligne-t-il. Dans cette perspective, directement ou indirectement, ils ont peut-être tout simplement mis cette menace à exécution.

Et maintenant ?

Peu importe les raisons : la tension est maintenant à son comble dans la région du détroit d’Ormuz. Accusé par Washington et Riyad d’être derrière les attaques de samedi, l’Iran a saisi hier un pétrolier naviguant près du détroit d’Ormuz, et a arrêté son équipage, l’accusant de contrebande.

La double attaque de samedi est « la mère de toutes les escalades dans la région », a noté un ambassadeur arabe cité, sans être nommé, par le New Yorker.

Cette montée de tension survient trois mois après une série d’affrontements diplomatiques entre Washington et Téhéran, dans cette région volatile.

En juin, les Iraniens ont abattu un drone américain qui aurait pénétré dans leur espace aérien, ce que nie Washington. Le président des États-Unis avait alors évoqué l’idée d’une « guerre courte » contre l’Iran, avant de reculer sous prétexte qu’elle aurait causé « trop de pertes civiles ».

PHOTO SARAH SILBIGER, REUTERS

Le président américain Donald Trump a affirmé hier vouloir « savoir avec certitude qui est responsable  » de l’attaque d’installations pétrolières en Arabie saoudite. 

Aujourd’hui encore, tous les yeux sont tournés vers la Maison-Blanche… et le compte Twitter de Donald Trump. Ce dernier souffle le chaud et le froid. Élu sous la promesse de mettre fin aux déploiements militaires américains, il semblait hier renvoyer la balle aux Saoudiens, qui devront enquêter sur les origines des attaques. Mais qu’il assure néanmoins de son soutien.

À noter que les évènements du week-end sont survenus à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU, et que Donald Trump avait déjà émis le souhait d’en profiter pour rencontrer le président de l’Iran, Hassan Rohani.

Tout cela alors qu’aux yeux de Téhéran, le congédiement du conseiller à la sécurité de Donald Trump, John Bolton, un faucon promoteur d’une ligne dure à l’égard de l’Iran, peut être interprété comme un signal d’ouverture.

Pour toutes ces raisons, l’Iran a pu parier qu’il ne s’attirerait pas de représailles massives de la part de Washington, souligne Thomas Juneau.

Cela dans la mesure où Donald Trump ne changera pas de cap au prochain tweet.