Le roi Abdallah d'Arabie saoudite est mort vendredi et son demi-frère le prince Salmane, 79 ans, lui a succédé sur le trône du premier pays exportateur de pétrole, qui est aussi un poids lourd du Moyen-Orient et le berceau de l'islam.

Les funérailles du roi Abdallah d'Arabie saoudite ont commencé dans l'après-midi dans une mosquée de Riyad, selon des images en direct de la télévision d'État.

La dépouille du roi, recouverte d'une étoffe jaune, a été transportée sur un brancard dans la mosquée Imam Turki et déposée à même le sol avant qu'un dignitaire religieux n'ouvre une brève prière par Allah Akbar (Dieu est grand).

Le palais royal a annoncé dans un communiqué le décès à 1h (heure locale) d'Abdallah qui était âgé d'environ 90 ans (sa date de naissance exacte est inconnue). Souffrant d'une pneumonie, il était hospitalisé depuis le 31 décembre à Riyad et son état de santé avait nécessité la mise en place d'un tube pour l'aider à respirer.

Plusieurs dirigeants du monde ont aussitôt rendu hommage à l'action de celui qui aura réussi à maintenir la stabilité de la première puissance pétrolière en la préservant des tempêtes arabes, même si sa politique en matière des droits de l'Homme reste très critiquée par les organisations non gouvernementales.

Allié de Washington et des Occidentaux dans la lutte contre les djihadistes du groupe État islamique et d'Al-Qaïda, Abdallah a officiellement gouverné le royaume pendant une décennie, mais il en tenait en réalité les rênes depuis l'attaque cérébrale dont avait été victime son demi-frère, le roi Fahd, en 1995.

Dans son premier discours, le nouveau roi Salmane a déclaré qu'il n'y aurait pas de changement dans la politique du royaume et appelé à l'unité parmi les musulmans.

«Nous resterons, avec la force de Dieu, sur le chemin droit que cet État a suivi depuis sa création par le roi Abdel Aziz ben Saoud et ses fils après lui», a dit le souverain qui souffre de problèmes de santé et a notamment été opéré en 2010 d'une hernie discale.

Il a demandé que Dieu le soutienne pour assumer cette «grande responsabilité», avant d'annoncer dans un décret royal la nomination de Mohammed ben Nayef comme futur prince héritier et de l'un de ses fils, le prince Mohammad, comme ministre de la Défense.

Le feu roi sera enterré à Riyad après les prières de l'après-midi, en présence de plusieurs dirigeants étrangers. Les citoyens saoudiens seront ensuite invités à prêter allégeance au nouveau roi et au prince héritier Moqren, demi-frère d'Abdallah, au palais royal.

Rebond des cours du pétrole

Alors que le royaume tente de réaffirmer son leadership sur un marché pétrolier mondial en plein changement, le décès du roi a entraîné un sursaut en Asie des cours du brut, qui ont fortement diminué ces derniers mois en raison d'une faible demande et d'une offre abondante.

Pour le chef économiste de l'Agence internationale de l'Énergie (AIE), Fatih Birol, la mort d'Abdallah ne devrait néanmoins pas provoquer de changement «significatif» dans la politique pétrolière saoudienne.

L'Arabie saoudite avait pris la tête des pays qui ont lutté avec fermeté pour le maintien à son niveau actuel de la production pétrolière de l'OPEP, au risque de voir s'accélérer la chute des prix du brut (-50% depuis juin).

Outre son poids pétrolier, le roi Abdallah exerçait une très forte influence sur la politique régionale.

Face à l'influence grandissante des mouvements islamistes, le royaume a été un important soutien à l'actuel président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et a joué un rôle clé dans le soutien à l'opposition au régime syrien, autorisant l'entraînement par l'armée américaine de rebelles sur son territoire.

Abdallah a certes gardé la première puissance pétrolière mondiale à l'abri des crises du monde arabe, mais a déçu les attentes des réformateurs, notamment sur la place de la femme dans la société, qui ne peut toujours pas conduire et dont les droits sont bafoués.

Amnistie Internationale a ainsi dénoncé un régime «insensible aux droits de l'Homme» et accusé l'Occident de couvrir cette politique en raison du poids pétrolier du royaume et de son soutien dans la lutte antidjihadiste.

«Nous avons perdu un père»

Le roi Abdallah était, comme les quatre souverains qui l'ont précédé, fils du roi Abdel Aziz, fondateur de la dynastie des Al-Saoud qui a donné son nom au pays.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le roi Abdallah II de Jordanie participent à ses funérailles, et l'Iran chiite a décidé d'envoyer son chef de la diplomatie, Mohammad Javad Zarif, à Riyad samedi pour les condoléances.

Le président américain Barack Obama a été l'un des premiers à saluer la mémoire d'un «ami précieux» et d'un dirigeant «sincère». Son homologue français François Hollande a aussi «salué la mémoire d'un homme (...) dont la vision d'une paix juste et durable au Moyen-Orient reste plus que jamais d'actualité».

Dans ce pays très conservateur, qui a vu naître l'islam en 622 et abrite les deux principaux lieux saints musulmans, La Mecque et Médine, de nombreux Saoudiens se sont tournés vers les réseaux sociaux pour exprimer leur tristesse.

«Je ne souhaitais pas devoir annoncer cette information», a écrit sur son compte Twitter le présentateur qui a lu le communiqué annonçant la mort du roi.

«Nous n'avons pas perdu un roi, nous avons tous perdu un père», a regretté Chaïma, un autre utilisateur de Twitter.

Photo archives Reuters

Le prince Salmane, devenu roi.

Le roi qui a préservé l'Arabie des tempêtes arabes

Le roi Abdallah a gardé la première puissance pétrolière mondiale à l'abri des crises du monde arabe, mais a déçu les attentes des réformateurs, notamment sur la place de la femme dans la société.

De fait, Abdallah s'est souvent trouvé tiraillé entre les ailes libérale et conservatrice de la famille royale, ce qui a certainement paralysé son action.

Il avait accédé au trône à la mort en août 2005 de son demi-frère, Fahd, mais il dirigeait de facto le royaume depuis 1995.

Après avoir subi plusieurs opérations ces dernières années, les apparitions publiques du roi étaient devenues de plus en plus rares et il se faisait représenter par le prince héritier, Salmane Ben Abdel Aziz, 79 ans.

Le pieux Abdallah, qui s'est forgé une réputation de probité face à d'autres membres de la famille royale accusés de corruption, était «le roi le plus aimé en Arabie saoudite depuis Fayçal», assassiné en 1975, selon un diplomate occidental.

Face à la montée en puissance du groupe État islamique (EI) en Syrie et en Irak, l'Arabie saoudite, qui abrite les deux premiers lieux saints de l'islam, a rejoint sous son règne la coalition internationale et participé aux raids contre ces djihadistes actifs aux portes du royaume.

Durcissant son discours contre l'islam radical, Abdallah avait averti que les pays occidentaux seraient la prochaine cible des djihadistes: «Si on les néglige, je suis sûr qu'ils parviendront au bout d'un mois en Europe, et un mois plus tard en Amérique».

Manne pétrolière contre paix sociale

Simultanément, le royaume, premier exportateur mondial de brut, a joué à fond la carte pétrolière pour défendre sa part de marché, menacée selon lui par l'essor du pétrole de schiste, notamment américain. Sous l'influence d'Abdallah, l'Opep s'est abstenue de réduire son offre malgré la chute des cours.

Au plan interne, le roi a engagé un prudent processus de réformes en tentant de concilier les positions d'un establishment religieux ultraconservateur et celles d'une frange libérale de la population avide de modernisation.

En 2005, il a organisé les premières élections municipales partielles et accordé aux femmes le droit de vote au prochain scrutin de 2015, même si celles-ci ne peuvent toujours pas conduire.

Abdallah a aussi allégé l'emprise de la puissante police religieuse et introduit des réformes dans le secteur de l'éducation. Il a inauguré en 2009 la King Abdullah University of Science and Technology, le premier établissement mixte du pays.

Mais le mélange des sexes reste interdit en dehors du cadre familial.

Abdallah a surtout su protéger son pays de la tempête qui a soufflé en 2011 sur le monde arabe. Puisant dans les importantes réserves financières du pays pour satisfaire la population, il a consacré plus de 36 milliards de dollars à la création d'emplois, la construction d'unités de logement et aux aides aux chômeurs.

Malgré la chute des cours pétroliers, le roi a ordonné de maintenir le rythme des dépenses dans le budget 2015 pour préserver la paix sociale.

Défenseur de l'ordre établi dans le monde arabe, le royaume a accueilli le président tunisien Zine Al Abidine Ben Ali, premier autocrate arabe à être chassé du pouvoir par la rue en janvier 2011, et n'a pas applaudi au renversement du président égyptien Hosni Moubarak le mois suivant.

«Couper la tête du serpent»

Il a ensuite ouvertement soutenu le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi après la destitution en 2013 de son prédécesseur Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, classé groupe «terroriste» par Riyad.

Sur l'échiquier régional, le roi fut l'initiateur du seul plan de paix global arabe au Proche-Orient, rejeté par Israël, comme il a tenté par ailleurs de contrer les ambitions de l'Iran chiite.

Les fuites de WikiLeaks révèlent un homme qui ne mâche pas ses mots. En parlant de l'Iran, il recommande aux États-Unis de «couper la tête du serpent» pour détruire son programme nucléaire.

Allié des États-Unis, il n'a pas non plus hésité à les critiquer, comme en 2007 lorsqu'il avait évoqué «l'occupation illégitime» de l'Irak par leurs troupes.

Né à Riyad, Abdallah est le 13e fils du roi Abdel Aziz, fondateur du royaume. Il était proche des tribus qui fournissaient les recrues de la Garde nationale, cette «armée blanche» qu'il avait dirigée avant d'en confier les rênes à son fils Mitaab.

Le feu roi aimait se mêler à ses troupes et on l'a vu danser souvent avec les hommes de la Garde nationale, un drapeau saoudien sur l'épaule et une épée à la main, au rythme de la «Arda», sorte de chant de ralliement à la dynastie des Al-Saoud.