Pas moins de 4000 migrants pourraient perdre la vie sur les chantiers de construction du Qatar d'ici l'ouverture de la Coupe du monde de soccer, en 2022, si le pays ne prend pas les mesures nécessaires pour faire cesser des pratiques assimilables à une forme d'«esclavage moderne».

La mise en garde émane de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui se base, pour faire cette projection, sur les données disponibles relativement aux décès de travailleurs d'origine népalaise et indienne.

«Les bas salaires et le contrôle absolu de la main-d'oeuvre par les entreprises demeurent la norme au Qatar», déplore en entrevue le porte-parole de l'organisation internationale, Tim Noonan.

Il dénonce plus particulièrement le maintien de la kafala, un système répandu dans la région. «Les migrants deviennent en quelque sorte la propriété des employeurs. Ils ne peuvent quitter le pays si la compagnie refuse de leur accorder un visa de sortie et ils ne peuvent chercher un emploi ailleurs», relate M. Noonan.

Dans la majorité des cas, dit-il, les ouvriers se voient retirer leur passeport à leur arrivée, même si cette mesure est formellement interdite.

Amnistie internationale

Le constat de la CSI concorde avec celui d'Amnistie internationale, qui a publié un rapport détaillé en novembre sur la situation des travailleurs migrants du Qatar, pour la plupart originaires de l'Asie du Sud-Est.

Les auteurs ont constaté que les violations du droit du travail étaient courantes et largement répandues et qu'elles pouvaient être assimilées dans certains cas à une forme de «travail forcé».

Des travailleurs ont été privés de leur salaire pendant des mois, contraints de travailler sur des chantiers dans des conditions «difficiles et dangereuses» ou forcés de dormir dans des dortoirs surpeuplés et mal entretenus, parfois insalubres. De nombreux migrants ont dû rester dans le pays même s'ils n'étaient plus payés depuis longtemps.

«Il est tout simplement inexcusable, dans l'un des pays les plus riches de la planète, que tant de travailleurs migrants soient exploités sans pitié, privés de leur paie et abandonnés à leur sort», a dénoncé le secrétaire général d'Amnistie internationale, Shalil Shetty.

Des centaines de morts?

La question a reçu beaucoup d'attention en septembre après que le quotidien britannique The Guardian eut avancé qu'une quarantaine de travailleurs d'origine népalaise étaient morts sur des chantiers sur une période de trois mois, à l'été 2013. Une affirmation démentie par les autorités.

D'autres données divulguées par l'ambassade de l'Inde indiquent que 450 travailleurs d'origine indienne sont morts au Qatar depuis deux ans. Elles ne précisent pas quelle proportion de ces morts était survenue sur des chantiers de construction.

Le gouvernement qatari, qui dit étudier les chiffres indiens pour en comprendre la portée, a récemment conçu une charte destinée à améliorer le sort des travailleurs migrants. Il fait notamment valoir que le nombre d'inspecteurs a été accru et que des sanctions ont été imposées à 500 sociétés en janvier seulement.

La charte en question ne va cependant pas assez loin, notamment parce qu'elle n'abolit pas la kafala, note M. Noonan, qui presse la Fédération internationale de football (FIFA) de hausser le ton.

L'organisation sportive, embarrassée par la polémique, a demandé au Qatar d'agir pour améliorer la situation «inadmissible» et «horrible» des travailleurs migrants. Elle a assuré du même souffle qu'il n'était pas question de revenir sur sa décision d'en faire le pays hôte de la Coupe du monde de 2022.

EN CHIFFRES

>1 350 000

Nombre approximatif de travailleurs migrants au Qatar, soit 94% de la main-d'oeuvre du pays.

90%

Proportion de travailleurs migrants qui ont vu leur passeport retenu par leur employeur.

55%

Proportion de travailleurs migrants n'ayant pas de carte délivrée par le gouvernement leur permettant d'accéder au système de santé.

21%

Pourcentage de travailleurs migrants qui disent recevoir «parfois, rarement ou jamais» leur salaire à temps.

Source: Amnistie internationale