En Israël, des jeunes décident de se faire tatouer le numéro de déportation de leurs grands-parents. Devoir de mémoire nécessaire ou initiative déplacée et choquante?

157622. C'est le numéro qu'Eli Sagir, une jeune israélienne de 21 ans, arbore sur l'avant-bras depuis près de quatre ans. Au retour d'un voyage scolaire en Pologne, la jeune femme a décidé de se faire tatouer le numéro que les nazis ont attribué à Yosef Diamant, son grand-père, déporté à Auschwitz.

Eli est loin d'être la seule à vouloir rendre hommage à un proche rescapé de la Shoah. En Israël, une cinquantaine de jeunes se sont déjà fait tatouer un numéro de déportation. Leur but? Rendre hommage à leurs aïeux et garder vivace un pan douloureux de leur histoire familiale. Mais ce n'est pas tout. Dans un pays où le nombre d'anciens déportés baisse inexorablement - de 198 000 actuellement à une estimation de 48 000 en 2025 -, la peur de voir l'Histoire enfouie à jamais conduit certains jeunes à matérialiser un devoir de mémoire rendu souvent trop abstrait.

«Ma génération ne sait strictement rien sur l'Holocauste», confie Eli au New York Times. «Vous leur parlez et ils ont l'impression qu'il s'agit de la sortie d'Égypte, de l'histoire ancienne. Moi, j'ai voulu que ma génération se souvienne», souligne la jeune femme.

Pour Colette Avital, directrice du Centre des organisations des rescapés de la Shoah qui fédère 54 organisations de rescapés, ce geste a une portée symbolique particulièrement forte: «Ces tatouages, c'était une manière pour les nazis d'essayer d'avilir les déportés, de les réduire à un numéro, de leur ôter leurs identités, explique-t-elle. Pour ces jeunes, porter cette marque, c'est une manière de rendre hommage à leurs grands-parents, de leur témoigner leur respect et leur amour.»

Une provocation dérangeante

La pratique a pourtant fait éclater une polémique en Israël. «Déplacé», «indécent», «choquant» ... Pour une partie de l'opinion publique, les qualificatifs ne manquent pas pour évoquer l'initiative de ces jeunes. La confusion identitaire que symbolisent ces tatouages choque également d'anciens déportés et certains historiens. De mauvais goût, ils leur donneraient alors l'illusion de s'approprier une histoire qui n'est pas vraiment la leur. «Nous nous éloignons de la mémoire vivante pour aller vers la mémoire historique», indique Michael Berenbaum, professeur à l'Université de Los Angeles et spécialiste du travail de mémoire autour de l'Holocauste au New York Times. «Nous sommes à ce moment de transition et [les tatouages] sont une manière insolente, démonstrative, de le franchir», signale-t-il.

Pour Dana Doron, médecin et coréalisatrice du documentaire Numbered, qui raconte l'histoire de rescapés de la Shoah, cette analyse est à nuancer. Dans son film, elle permet aux anciens déportés de raconter le lien intime, douloureux et traumatique qui les lie à leur tatouage. La jeune femme explique que le geste de leurs petits-enfants peut être vécu de manière très différente: «Certains sont très reconnaissants et extrêmement touchés. Au contraire, d'autres réagissent mal car ce symbole leur rappelle l'horreur qu'ils ont vécue, mais aussi parce que les tatouages sont interdits par la religion. Selon la Torah, on ne doit pas modifier son corps de manière irréversible.»

Alors que la parole des rescapés devient de plus en plus rare et précieuse, les Israéliens s'interrogent sur la manière de préserver collectivement la mémoire de la Shoah. Certains jeunes choisissent alors d'imprimer dans leur chair le symbole de la barbarie nazie. Une manière pour eux de ne pas avoir le choix et de ne jamais pouvoir oublier.