À la croisée de la rue Ben Yehuda et de la rue de Jaffa, principales artères du centre du Jérusalem juif, la place de Sion devient à la nuit tombée le point de ralliement des jeunes fêtards, plus ou moins éméchés. Des bagarres éclatent régulièrement entre bandes rivales, mais jeudi soir dernier, aux alentours de minuit, la violence a pris une dimension inédite.

Des dizaines d'adolescents juifs s'en sont pris à trois Palestiniens. L'un d'entre eux, âgé de 20 ans, a été particulièrement visé. Roué de coups de poing et de coups de pied, il a rapidement perdu connaissance. «Même une fois qu'il s'est écroulé à terre, ils ont continué à le frapper», raconte un témoin. «Il s'agit d'un véritable lynchage», a estimé un policier.

Inconscient, le jeune homme a dû être transporté à l'hôpital Hadassa de Jérusalem. Grâce à un défibrillateur, les équipes de secours du Maguen David Adom, Croix-Rouge israélienne, ont réussi à rétablir son rythme cardiaque. Il est sorti du coma dimanche. Son état est jugé critique mais stable.

«Honte et dégoût»

L'affaire a provoqué un vif émoi en Israël. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou a dénoncé un acte «contraire à nos valeurs» tandis que le président de l'État Shimon Péres a avoué sa «honte» et son «dégoût» lors d'une visite à des Arabes israéliens en Galilée.

La place de Sion étant sous vidéosurveillance, la police a pu procéder à une dizaine d'interpellations au cours des derniers jours. Les suspects, filles et garçons, ont de 13 à 17 ans. L'un des jeunes arrêtés, âgé de 15 ans, a reconnu les faits mais n'a exprimé aucun regret. «Il peut mourir. Il a insulté ma mère, a-t-il expliqué aux enquêteurs. C'est un Arabe. Si nous allons à la porte de Damas [dans le quartier arabe de Jérusalem], nous pouvons recevoir un coup de couteau.»

Au cours de son interrogatoire, il a affirmé qu'au moins «40 ou 50 jeunes» avaient participé au lynchage. «Une fille les incitait à frapper les jeunes Arabes», a précisé de son côté un enquêteur.

Regain de tension

Si cette agression fait autant de bruit en Israël, c'est qu'elle témoigne d'un regain de tension entre Israéliens et Palestiniens. La violence ne s'inscrit plus désormais dans un conflit généralisé, mais dans une série d'actes individuels. Jeudi dernier, un cocktail Molotov a ainsi été lancé sur un taxi palestinien qui circulait sur une route du Goush Etsion, bloc de colonies juives au sud de Jérusalem. Plusieurs membres d'une même famille ont été gravement blessés.

«Nos rabbins et nos responsables politiques ont du mal à condamner de telles agressions», témoigne Eliaz Cohen, Israélien très engagé dans le dialogue intercommunautaire. «Ils estiment qu'il s'agit d'actes isolés qui ne méritent pas de condamnations officielles. Or il y a une véritable dérive raciste chez une partie des jeunes Israéliens. Il faut l'étouffer dans l'oeuf.»

Ce type de message a du mal à passer dans un pays qui attribue volontiers le monopole de la violence gratuite aux seuls Palestiniens. «L'an dernier, deux jeunes Palestiniens ont égorgé cinq membres d'une même famille, dont un bébé de 2 mois. Alors, ce n'est pas une bagarre de rue qui va nous culpabiliser. Il faut comparer ce qui est comparable», résume Itshak Lévy, habitant de Jérusalem.