Trois jours par semaine, Hourieh Khodai enfile son tchador pour les moments les plus importants de sa semaine. Avec 34 autres Iraniennes, elle s'assoie derrière un rideau et attend patiemment le professeur. Le visage de ce dernier est le plus connu de tout le pays. Il est peint sur les murs. Et il apparaît sur une photo dans la plupart des commerces.

Ce visage, c'est celui de l'ayatollah Khamenei, leader suprême de la République islamique depuis 1989. «Quand il se présente devant nous, ce n'est pas l'homme politique qui est là, mais le professeur. Et il aime avoir notre avis sur plusieurs sujets», s'enorgueillit Mme Khodai.

Cette dernière n'a pas été admise dans le cercle du grand ayatollah par hasard. Avec ses 34 collègues, elle fait partie d'un club très sélect. Celui des femmes mojtaheds, c'est-à-dire les femmes qui ont atteint le premier échelon de la complexe hiérarchie de l'islam chiite. «Pour 35 femmes, il y a 40 000 hommes mojtaheds en Iran», précise la mère de deux enfants.

Pour en arriver là, Hourieh Khodai étudie l'islam depuis plus de 30 ans. Elle a écrit des essais sur des questions religieuses et dirige une des principales écoles de religion réservées aux femmes à Téhéran. Plus de 350 femmes y sont inscrites.

Le jour de notre passage, les élèves passaient leur examen de fin de semestre. L'examen avait lieu dans une grande salle attenante à une mosquée. Les surveillantes offraient du thé et des biscuits à leurs élèves. Une fois diplômées, la plupart travailleront pour le gouvernement, mais les plus motivées pourraient marcher à leur tour dans les pas de Mme Khodai.

Une longue marche

Pour le moment, le rôle des femmes mojtaheds est limité, convient Mme Khodai. Même si elles ont le statut de mollah (l'équivalent d'un prêtre musulman), elles ne peuvent diriger la prière à la mosquée comme leurs vis-à-vis masculins. Elles peuvent cependant conseiller les femmes qui les consultent quant aux règles de l'islam.

Mme Khodai est pour sa part aussi appelée à conseiller le Conseil des gardiens, une des instances les plus puissantes de la théocratie iranienne, qui a notamment pour rôle d'interpréter la Constitution du pays, d'approuver les candidats aux élections et qui a un droit de veto sur les lois mises de l'avant par le Parlement, le Majlis. «On ne fait pas les lois, mais on peut les influencer», croit-elle.

Mme Khodai et ses consoeurs peuvent-elles proposer une interprétation du Coran et de la loi islamique plus clémente aux femmes? Rien n'est moins sûr. La directrice de l'école coranique avoue être elle-même convaincue du bien-fondé de plusieurs pratiques décriées par les féministes iraniennes, dont celle du mariage temporaire qui permet aux hommes d'épouser pour quelques jours une veuve ou une divorcée afin d'avoir une relation sexuelle avec elle. Plusieurs voient dans cette pratique une apologie de la prostitution. «Je suis en faveur du mariage temporaire, mais j'aimerais que les épouses temporaires aient les mêmes droits que les épouses permanentes», plaide la mojtahed.

L'avènement d'une ayatollah?

Mme Khodai croit que les femmes qui la suivront pourront aller plus loin. L'ayatollah Khamenei a récemment affirmé que si elle se consacre aux questions réservées aux femmes, une femme mojtahed pourrait éventuellement avoir des fidèles, ce qui lui permettrait d'obtenir le titre d'ayatollah. «Ma génération a fait pas mal de chemin. Il n'y avait aucune femme dans le clergé sous le chah, résume-t-elle. Mais je pense que c'est la génération de ma fille qui atteindra peut-être un jour le statut d'ayatollah», dit la mollah avec fierté, en regardant ses pupilles absorbées par leur examen.