Dix ans après leur destruction par le régime des talibans, les bouddhas géants de Bamiyan tardent à renaître, parce que la guerre fait toujours rage et faute d'un accord entre Kaboul et ses partenaires internationaux sur la restauration du plus célèbre site historique afghan.

Début mars 2001, le chef suprême des talibans, le mollah Omar, ordonnait la destruction des deux statues de 38 et 55 mètres, jugées «anti-islamiques», défiant la communauté internationale qui l'appelait à épargner ces deux trésors archéologiques sculptés il y a 1 500 ans dans une falaise du centre du pays.

Dix ans après, aucune n'a été reconstruite, et l'Unesco, qui a placé la vallée de Bamiyan sur sa liste du patrimoine mondial en danger dès 2003, ne s'est toujours pas mis d'accord avec le gouvernement sur leur sort.

«Comme en général dans tout le pays, il y a plus de désenchantement que de satisfaction au terme de cette décennie, car les attentes de reconstruction étaient très fortes, et la réalité est tout autre», explique Philippe Marquis, de la direction archéologique française en Afghanistan (Dafa).

Dix ans après la destruction, l'Unesco tenait jeudi et vendredi à Paris la 9e réunion des experts internationaux du dossier pour faire le point sur l'avancement des travaux de restauration et examiner les options pour l'avenir du site, notamment celles souhaitées par le gouvernement.

À l'Unesco, on souligne que «beaucoup a été fait» sur ce chantier colossal qui nécessite un travail de fourmi, à commencer par la conservation du site.

«Les sites ont été déminés, les restes des bouddhas et la falaise en grande partie stabilisés» avec l'aide de piliers métalliques de 5 à 10 m de long et d'adhésifs chimiques, explique un responsable de l'Unesco à Kaboul, Reza Sharifi, précisant que «3 à 4 millions de dollars ont été dépensés» jusqu'ici.

Mais la reconstruction des bouddhas fait débat, alors des milliers de débris ont été collectés et stockés, pour les moins gros, dans des entrepôts.

Côté afghan, on plaide pour une reconstruction au moins partielle, pour faire revivre le très populaire site touristique que cette vallée située sur l'ancienne Route de la soie était avant l'invasion soviétique des années 1980.

Enclavée dans les montagnes à quelque 200 km de Kaboul, Bamiyan dispose d'un atout rarissime dans le pays: elle est épargnée par les violences.

Et ses bouddhas sont un moyen unique de sortir de la pauvreté, souligne Mohammad Akbari, un parlementaire de Bamiyan. «Les gens veulent qu'ils soient reconstruits car tous les projets de développement de la vallée en dépendent», ajoute-t-il. «Il faudrait les reconstruire, même avec de nouvelles pièces. Cela attirerait de nouveau les gens», abonde Timor Hakimyar, directeur de l'ONG Fondation pour la société civile à Kaboul.

Mais l'Unesco est jusqu'ici réticente à toute reconstruction des statues, ses experts craignant que la vallée ne devienne un «Disneyland».

Plusieurs scientifiques soulignent que Bamiyan compte bien d'autres richesses (forteresses, peintures et habitats rupestres notamment) dont certaines restent encore à découvrir et qu'il faudrait préserver, plutôt que de se lancer dans une reconstruction des bouddhas incertaine et très coûteuse.

Au final, «il faut trouver un compromis, et c'est cela qui prend du temps», note M. Marquis. La gouverneure de la province de Bamiyan, Habiba Sorabi, plaide par exemple pour la reconstruction d'au moins une des deux statues.

Un chercheur allemand, Erwin Emmerling, a récemment estimé possible, bien que très coûteux et compliqué, de reconstituer la plus petite. Mais nombre d'experts en doutent.

«Il est dommage que cette décennie n'ait pas au moins permis d'arrêter clairement les différentes options pour l'avenir du site», regrette M. Hakimyar. Mais il n'accable pas les autorités: «Nous savons bien qu'il y a des problèmes de sécurité dans le pays» et que «la culture n'est pas la priorité».