Le dépôt de l'acte d'accusation contre les responsables de l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri constitue «un moment important pour le peuple du Liban», a indiqué ce matin le procureur du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), Daniel Bellemare.

Dans une déclaration rendue publique par les bureaux du TSL, Daniel Bellemare rappelle la promesse faite aux Libanais lors de son départ de Beyrouth en février 2009 de faire «tout ce qui est humainement et juridiquement possible afin de faire émerger la vérité» et pour «traduire en justice ceux qui sont responsables des crimes relevant de notre compétence». L'équipe du procureur Bellemare, un ancien procureur général adjoint du Canada originaire de Drummondville, travaille désormais depuis La Haye, aux Pays-Bas.

> La déclaration officielle du procureur du TSL Daniel Bellemare

Le dépôt de l'acte d'accusation lundi après-midi a abouti au terme d'un «long processus», admet l'avocat, avant de remercier les Libanais pour leur patience. En entrevue cet automne, Daniel Bellemare avait martelé qu'il ne déposerait pas d'accusations avant d'avoir recueilli toutes les preuves nécessaires. «Le Tribunal a fait l'objet de nombreuses attaques mais cela ne vous a pas ébranlé : vous avez conservé pleinement votre espoir; vous avez continué de croire dans le Tribunal, son indépendance et son professionnalisme. Je vous en remercie.»

Il sert une mise en garde à ses détracteurs. «À ceux qui ne s'y attendaient pas ou ne voulaient pas que ce jour arrive, je peux seulement répondre que si la justice peut être lente, ceci est délibéré», écrit-il. «Ceci est seulement une première étape dans notre quête commune pour mettre fin à l'impunité au Liban. Une quête qui doit être poursuivie à travers les lois et institutions existantes.»

Le mouvement armé du Hezbollah a dit s'attendre à être mis en cause dans l'assassinat de l'ex-premier ministre et a prévenu qu'il se «défendra» contre toute charge du Tribunal.

Daniel Bellemare demande enfin aux Libanais encore un peu de patience. Le juge de la mise en état du TSL, Daniel Fransen, étudie maintenant les documents qui ont été déposés par le procureur, un examen qui pourrait prendre entre six et dix semaines. Les éléments de preuve qu'ils contiennent, dont les noms des accusés, resteront confidentiels tant que le juge n'émettra pas de mandat d'arrestation ou de citation à comparaître. «Le maintien de la confidentialité est essentiel car je ne peux présumer que le juge de la mise en état confirmera l'acte d'accusation.»

«S'il est confirmé, le contenu du document sera rendu public en temps voulu, sur décision du Juge de la mise en état. Les réponses à beaucoup de vos questions seront alors apportées. Lors du procès, vous aurez l'opportunité de vérifier par vous-mêmes la force des éléments de preuve que nous avons rassemblés.»

D'ici là, rappelle Daniel Bellemare, «toute spéculation sur le contenu de l'acte d'accusation serait contre-productive, et ce, du fait que le juge de la mise en état pourrait ne pas être d'accord avec moi».

Les personnes visées sont également présumées innocentes, dit le procureur, même s'il y a confirmation de l'acte d'accusation. Leur culpabilité sera débattue lors du procès et devra être établie «au-delà de tout doute raisonnable». «Si un doute raisonnable subsiste, l'accusé sera acquitté.»

Selon le greffier du TSL, Herman von Hebel, le procès pourrait commencer en septembre-octobre «avec ou sans accusé».

Sans gouvernement

Par ailleurs, l'armée a renforcé sa présence aujourd'hui à Beyrouth et des écoles ont fermé de crainte de violences après une brève apparition de jeunes non armés dans les rues, signe de l'inquiétude croissante au lendemain du dépôt de l'acte d'accusation sur le meurtre de Rafic Hariri.

Le dépôt de l'acte d'accusation survient alors que le pays est plongé dans une crise politique depuis la chute du gouvernement piloté par le premier ministre Saad Hariri, fils de Rafic, la semaine dernière. Les ministres des Affaires étrangères de Turquie et du Qatar sont attendus dans la journée à Beyrouth pour tenter une médiation afin de dénouer la crise, la communauté internationale disant craindre une résurgence des violences dans le pays.

Plusieurs écoles ont demandé aux parents de venir chercher leurs enfants après l'apparition tôt le matin de centaines de jeunes dans des quartiers, de l'ouest de la capitale, où le Hezbollah et son allié le mouvement Amal sont présents, a indiqué un responsable de la sécurité sous couvert de l'anonymat. Selon lui, «il pourrait s'agir de préparatifs en vue d'une mobilisation liée à la remise de l'acte d'accusation».

«Des écoles ont fermé leurs portes à Tayyouné, Béchara el-Khoury, Ras el-Nabeh, Basta et Zokak el-Blat», qui sont des quartiers mixtes où coexistent des sunnites et des chiites. «Les jeunes n'étaient pas armés», a-t-il précisé. L'armée a renforcé par la suite sa présence dans plusieurs points de la capitale. «Il s'agit de mesures pour tranquilliser les citoyens», a indiqué un porte-parole militaire.

Le Hezbollah et ses alliés avaient claqué le 12 janvier la porte du gouvernement de Saad Hariri, fils de Rafic Hariri, provoquant sa chute. Le mouvement faisait pression depuis des mois sur M. Hariri, le fils de Rafic, pour qu'il désavoue le tribunal, ce que ce dernier a refusé de faire. Des consultations pour la nomination d'un nouveau premier ministre ont été reportées au 24 janvier en raison des profondes divisions entre le camp Hariri et le Hezbollah qui a fait savoir qu'il ne voulait pas une reconduction de M. Hariri.

- Avec AFP

Photo: AFP

L'armée a renforcé sa présence dans plusieurs points de Beyrouth, mardi.