À sa naissance, Zafar hérita d'une grande beauté et d'une sexualité incertaine qui firent son succès jusqu'à ses 15 ans, puis son malheur, lorsqu'un amoureux éconduit le défigura à l'acide, furieux de voir un eunuque, un moins que rien au Pakistan, refuser ses avances.

Il danse tous les matins car, dit sa voix fluette androgyne, «c'est le seul moyen que j'ai d'expulser l'angoisse qui me gagne dès que je repense au passé».

Sa fine silhouette efféminée virevolte en tunique marron clair au milieu d'un dortoir de l'Acid Survivors Foundation (ASF) d'Islamabad, qui soigne les défigurés à l'acide, en grande majorité des femmes, naufragées des haines ordinaires au Pakistan.

Mohammed Zafar Iqbal, 21 ans, sautille et ondule au rythme des mélopées indiennes, battant l'air de longs cheveux bruns, fins et raides.

Mais on voit surtout son fin visage ravagé, son nez rongé et rachitique, ses cheveux et les lunettes de soleil cachant ses yeux aveugles, avec une peau mate tirée, comme fondue, qui découvre et fige sa dentition.

Seules deux photos, qu'il garde près de lui, attestent de sa beauté d'antan.

La première montre l'enfant de Bahawalpur (est) à 8 ans, les cheveux courts, les traits fins et harmonieux, vêtu d'une tunique beige de garçon.

Sur la seconde, à 15 ans, il est une belle femme, maquillée et ceinte d'une robe brodée et d'un voile bleus nuit, qui tient dans ses bras un petit garçon intimidé coiffé d'un képi vert et rouge.

«C'est le fils d'un policier de notre quartier, on était venu danser pour son anniversaire», raconte Zafar. C'était en 2003, un mois avant l'acide.

À l'époque, cela fait déjà cinq ans qu'il a fui les moqueries de l'école et la honte familiale pour rejoindre un groupe d'eunuques.

Certains sont danseurs, comme lui. Mais tous ou presque mendient et se prostituent. Lui veut «seulement danser», mais l'homme que la nature a privé de tout désir sexuel n'échappe pas aux dérapages de ces shows privés.

Il admet avoir été violé trois fois par des clients. «Personne ne nous respecte. Pour eux, nous sommes juste un objet sexuel».

Et voilà que Shabir, 20 ans, qu'il croyait être son «meilleur ami», finit par lui avouer son amour.

Il l'éconduira une fois de trop, une nuit où Shabir, fou de jalousie en voyant d'autres hommes tourner autour du bel adolescent, lui déverse près de quatre litres d'acide sur le visage et le corps.

Zafar mettra deux mois à reprendre conscience.

Une photo, terrifiante, le montre quelques mois après l'agression. La peau est à vif, comme bouillonnante, et la souffrance inimaginable.

«Le chirurgien voulait en finir, me disait irrécupérable. Mais mes parents ont insisté, il m'ont ramené à la maison et soigné en me couvrant de miel».

Un an plus tard, il remarche, puis danse à nouveau, seul.

Il rejoint ensuite un groupe d'eunuques à Karachi qui, disait-on, soignaient les victimes d'attaques à l'acide. Mais ils l'exploitent en le faisant mendier.

Il trouvera finalement de l'aide en 2007, en arrivant à l'ASF. Il y apprend depuis peu à peu un métier, couturier.

«Il est très fort. Mais il doit se rebâtir une confiance, car celle qu'il avait grâce à sa beauté a été détruite», relève sa psychologue, Khadija Tahir.

Pas encore de quoi vaincre la malédiction des eunuques, qui le reprend dès qu'il retourne, très souvent, chez ses parents. «Là-bas, il mendie, car sa famille n'a rien d'autre», explique-t-on à la fondation. Et six ans après, il peut à tout moment y croiser son agresseur.

Zafar a porté plainte contre lui, sans aucun résultat jusqu'ici.