Le Yémen abrite nombre de sympathisants et de militants d'Al-Qaeda. Il suffit pour s'en convaincre de & s'asseoir dans le lobby d'un hôtel du centre-ville.

La Presse en a fait l'expérience cette semaine en rencontrant de manière inopinée un ancien garde du corps d'Oussama Ben Laden, Nasser al-Bahri, qui a interrompu une entrevue en cours avec une diplomate yéménite.

 

«C'est une vedette locale», a-t-elle lancé avant de présenter le personnage, un grand homme bien mis au sourire brillant, qui a fait de son expérience au sein de l'organisation terroriste un véritable gagne-pain.

Bien qu'il ait été interrogé à des dizaines de reprises, l'homme continue de vendre ses entrevues à la presse internationale, qui en redemande sans trop s'interroger sur les aspects éthiques d'une telle pratique.

Nasser al-Bahri a travaillé auprès d'Oussama Ben Laden en Afghanistan de 1997 à 2000. Il est revenu au pays peu de temps avant l'attentat contre le vaisseau américain USS Cole, mené depuis le port d'Aden, dans le sud du pays.

L'ex-garde du corps a été appréhendé par la suite et incarcéré par les autorités, qui lui ont permis de recouvrer sa liberté deux ans après dans le cadre d'un programme de réinsertion.

Selon Mohammed Nasser, du Centre d'analyses stratégiques Sheba, Nasser al-Bahri a été soumis à un intense programme de rééducation pour l'amener à se détourner de la violence. Il n'en demeure pas moins un admirateur déclaré de celui qu'il désigne comme le «cheikh Oussama».

Sa situation témoigne de l'approche conciliante que le gouvernement yéménite a longtemps adopté face aux jihadistes ayant combattu en Afghanistan ou aux membres d'Al-Qaeda originaires du pays.

Comme le relève l'International crisis group dans une récente analyse sur le Yémen, le régime a souvent privilégié «le dialogue à la répression et coopté plusieurs militants en offrant de l'argent et des emplois en échange de leur promesse de renoncer à la violence».

Le gouvernement a notamment lancé dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 un programme de réhabilitation par lequel sont passés des centaines de militants avant de recouvrer leur liberté.

Le programme a été encensé jusqu'à ce qu'il apparaisse qu'il visait à convaincre les détenus de ne pas cibler le Yémen sans pour autant condamner vigoureusement les actions internationales. Un centre d'études a relevé que plusieurs des hommes «traités» étaient partis par la suite combattre les troupes américaines en Irak.

Certaines remises en liberté ont fait grand bruit aux États-Unis, comme celle de Jamal al-Badawi. Condamné à une longue peine de prison par le gouvernement yéménite pour son rôle central dans l'attentat contre le USS Cole, il réussit à s'évader début 2006. Six mois plus tard, il se rend aux autorités en plaidant allégeance au président et recouvre sa liberté après avoir officiellement renoncé à la violence. Malgré le fait que les Américains offrent cinq millions de dollars pour sa capture.

Le régime yéménite, pressé par l'administration américaine de serrer la vis, hausse aujourd'hui le ton et multiplie les annonces d'arrestations pour illustrer sa détermination à «éradiquer» Al-Qaeda.

Mais les vieilles pratiques s'oublient difficilement. Le gouvernement a d'ailleurs dû passer une bonne partie de la semaine à expliquer à la presse internationale ce que le président a voulu dire la semaine dernière en soulignant qu'il était près à «dialoguer» avec Al-Qaeda.