Grant Kippen est un homme prévoyant. Avant de s'envoler pour l'Afghanistan, où il dirige la Commission des plaintes électorales, ce Canadien avait pris la peine de mettre un manteau d'hiver dans ses bagages.

«J'espérais ne pas avoir à m'en servir», a-t-il confié au téléphone hier. Mais près d'un mois après les élections du 20 août, les chances que Grant Kippen puisse rentrer chez lui avant l'hiver s'amenuisent de jour en jour.

Aux dernières nouvelles, la Commission prévoit analyser les résultats du vote dans environ 2500 des 26 000 bureaux électoraux, ceux où l'on a rapporté les pires aberrations. Et elle doit encore examiner 700 plaintes électorales.

Grant Kippen croit qu'il lui faudra «des semaines» pour terminer son mandat. Or, des voix s'élèvent déjà pour déplorer que les enquêtes sur la fraude électorale n'aillent pas assez loin, au risque d'entériner des résultats qui ne représentent pas la volonté d'une majorité d'Afghans.

Divergences

Le Times de Londres a rapporté hier que Peter Galbraith, principal représentant des États-Unis au sein de la mission de l'ONU en Afghanistan, croit que la fraude est, en fait, beaucoup plus répandue. Et qu'il faudrait invalider les résultats dans 1000 bureaux électoraux et les recompter dans 5000 autres.

La controverse a pris une ampleur telle que Peter Galbraith a dû quitter précipitamment l'Afghanistan, dimanche. Selon des diplomates cités anonymement par le Times, c'est son patron, le Norvégien Kai Eide, qui lui a suggéré de prendre un petit congé.

Aux bureaux new-yorkais de l'ONU, on dit que Peter Galbraith est parti «en mission», mais le porte-parole Farhan Haq convient que «dans toute élection chaudement disputée, des divergences d'opinions sont inévitables.»

D'autres reportages signalent que deux visions s'affrontent à Kaboul. D'un côté, il y a les Américains qui veulent des résultats électoraux les plus crédibles possible. Et de l'autre, les Européens qui sont prêts à s'accommoder d'une certaine marge de fraude - pourvu que l'Afghanistan retrouve vite un gouvernement fonctionnel.

Majorité moins grande

Les derniers décomptes donnent 54% de voix au président sortant Hamid Karzaï, mais plus on enquête, plus sa majorité risque de fondre. Et plus on risque de se retrouver dans l'obligation de tenir un deuxième tour de scrutin.

Or, de nouvelles élections pourraient provoquer une nouvelle vague de violence. Plus que ça: voter en hiver est impossible dans ce pays où de nombreuses régions deviennent alors inaccessibles. Un deuxième tour risque donc de prolonger le vacuum politique afghan jusqu'au printemps. Et à qui profiterait ce vide? Aux talibans.

En d'autres mots, les élections ont conduit l'Afghanistan à un dilemme insoluble.

Dans un plateau de la balance: un président sans véritable légitimité. Dans l'autre: une longue période de vide politique, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer dans ce pays ultra fragile.