Dix-neuf ans après l'unification des deux Yémen et 15 ans après l'échec d'une tentative de sécession, le sud du Yémen se sent toujours exploité par le nord, au point que l'unité du pays est aujourd'hui menacée, selon des experts.

La colère et le ras-le-bol d'une bonne partie des quelque quatre millions d'habitants du sud sont tels que l'idée d'une indépendance de la région correspondant à l'ancien Yémen du sud est de nouveau d'actualité et qu'une recrudescence de la violence apparaît probable à beaucoup.La situation a «atteint de dangereux niveaux de haine raciale. C'est comme si les nordistes appartenaient à une autre race», va jusqu'à dire un journaliste local.

Pour un homme d'affaires d'Aden, la grande ville du sud, qui a lui aussi demandé l'anonymat, il est «clair» qu'une confrontation violente est inévitable.

«Ca risque d'être relativement long et sanglant dans la mesure où ça ne sera pas une bataille entre deux armées», comme lors de la tentative de sécession du sud de 1994, mais plutôt des affrontements plus proches d'une guérilla, dit-il.

Le 21 mai, au moment où le régime célébrait le 19e anniversaire de l'unification du pays, l'un des plus pauvres du monde, par un grand défilé militaire à Sanaa, le sang a de nouveau coulé dans le sud: trois personnes ont été tuées lorsque la police a ouvert le feu pour empêcher plusieurs milliers de manifestants d'entrer dans Aden.

De violents affrontements avaient déjà fait huit morts, dont quatre soldats, fin avril et début mai.

L'explosion de ces derniers jours trouve son origine dans les années qui suivirent l'unification le 22 mai 1990 du Yémen du sud, ex-membre du bloc soviétique, et du Yémen du nord, et surtout dans la période postérieure à la guerre civile de 1994.

«Dès que les gens du nord sont arrivés ici, ils se sont servis à droite et à gauche, ils ont pillé les terres, les outils économiques», explique l'homme d'affaires cité plus haut.

Le nord, poursuit-il, «s'est comporté en 1994 comme un envahisseur vis-à-vis d'un pays vaincu».

La question la plus sensible est celle de la terre. Il n'y a pas un sudiste qui n'ait une histoire de spoliation à raconter.

Les nordistes qui possèdent des terres dans le sud «sont essentiellement des personnalités du pouvoir, surtout des militaires», explique cet homme d'affaires.

A cela s'ajoute le chômage et la hausse des prix des denrées de base.

Estimé à quelque 40% pour l'ensemble du pays, le taux de chômage est encore supérieur dans le sud.

«Ce qui intéresse les gens du sud, ce n'est pas la sécession, le nord ou le sud. Ce sont leurs droits, la santé, l'éducation, la fourniture d'électricité et d'eau», a assuré un ancien ministre, Abdelkader Hilal, dans une interview à l'AFP, confirmant implicitement les carences de l'Etat central dans un pays où les services publics sont proches de l'indigence.

La combinaison de tous ces griefs, qui amène certains sudistes à parler de «colonisation», forme un terreau fertile pour les idées indépendantistes.

Elle a entraîné la formation du «Mouvement sudiste», une coalition hétéroclite de groupes d'opposition qui vont d'anciens socialistes au pouvoir à Aden avant 1990 à des islamistes purs et durs ayant combattu les troupes soviétiques en Afghanistan dans les années 80.

La menace est réelle, puisque le président Ali Abdallah Saleh a mis en garde en avril contre le risque d'un «éclatement du pays en entités multiples».