À elle seule, la famille d'Etgar Keret est un pur concentré des formidables contrastes de la société israélienne. Et c'est un peu la faute de la Shoah.

Les parents de l'écrivain israélien sont des rescapés de l'Holocauste. Sa mère a perdu toute sa famille dans le ghetto de Varsovie. Son père a survécu pendant deux ans caché dans un trou en Russie. «Comme ils n'avaient pas eu une enfance normale, ils ne savaient comment élever des enfants. Quand j'avais 5 ans, si je voulais rester debout pour regarder la télé, je n'avais qu'à organiser un vote familial sur la question!»

 

Son frère a fait la première guerre du Liban, en 1982. Il en est revenu transformé. «Il est devenu militant d'extrême gauche. Il a fondé le mouvement pour la légalisation de la marijuana en Israël. Aujourd'hui, il vit dans un arbre en Thaïlande avec sa femme, une Israélienne experte de l'industrie des films pornographiques. Elle écrit des essais du genre: Comment le 11 septembre a influencé le narratif des films pornos américains!»

La soeur d'Etgar Keret est juive ultra-orthodoxe. Mère de 11 enfants, elle habite un quartier de Jérusalem où les gens parlent yiddish, n'ont pas de télé et ne votent pas puisqu'ils ne reconnaissent pas Israël en tant qu'État dirigé selon des règles laïques. «Ma soeur se moquerait bien de vivre dans un État palestinien. Pour elle, c'est pareil.»

La paix entre juifs

Une vieille blague dit que les vrais problèmes d'Israël commenceront quand le pays aura fait la paix avec les Palestiniens... et qu'il devra faire la paix entre les Juifs. Pour Etgar Keret, ça n'a rien d'une blague. «Il y a d'énormes tensions entre les laïcs et les orthodoxes, entre ashkénazes et séfarades, entre socialistes et capitalistes. Ce n'est pas comme si la société pouvait devenir unie automatiquement avec la fin d'un conflit.»

«Les gens veulent que les colons quittent les territoires, mais pour qu'ils aillent se jeter dans la mer. En tout cas, qu'ils ne s'avisent surtout pas de s'installer dans leur quartier! La peur, la haine aveugle et la frustration sont autant de menaces pour la société israélienne que le conflit avec les Palestiniens.»

Célébré dans son pays pour son récent film, Les méduses, et ses romans qui flirtent avec l'absurde, Etgar Keret a rompu avec la tradition d'engagement politique des grands écrivains israéliens comme Amos Oz, David Grossman et Abraham B. Yehoshua, des écrivains clairement identifiés à la gauche. Etgar Keret, lui, refuse les étiquettes.

«Le problème, en Israël, c'est que l'idéologie définit les gens, regrette-t-il. Nous venons de tous les pays et de toutes les cultures. Dans le passé, l'idéologie était ce qui nous unissait. Aujourd'hui, c'est ce qui nous divise. Israël est devenu une société complètement fragmentée. Les gens ne communiquent plus.

«L'ambiguïté est inhérente à ma vie, poursuit l'écrivain. Ma soeur a vécu dans une colonie. Nous ne sommes d'accord sur rien. Mais je suis heureux qu'une personne comme ma soeur existe sur cette terre, parce que c'est une bonne personne, un cadeau pour l'humanité. Je connais des gens de gauche qui trompent leur femme et battent leurs enfants. Et ils sont censés être mes amis parce qu'ils sont de gauche! On réduit les gens à la politique. Rien n'est blanc et noir. La vie est très complexe.»