L'armée américaine va commencer mercredi à transférer au gouvernement irakien le contrôle des quelque 100.000 miliciens anti Al-Qaïda qui l'ont aidée à améliorer la sécurité dans le pays, et dont la reconversion incertaine suscite des inquiétudes.

Ce premier transfert sous pavillon irakien des brigades de Sahwa («réveil» en arabe), en majorité anciens insurgés sunnites ralliés à l'armée américaine, concerne les 54.000 membres déployés dans la province de Bagdad.

Le gouvernement irakien, dominé par les chiites, commencera à payer ces Sahwas à partir du 10 novembre à la place de l'armée américaine, qui dépensait jusqu'ici 15 millions de dollars par mois pour régler leurs salaires.

Les Sahwas répartis dans les autres régions sunnites du pays seront ensuite transférés progressivement.

Créés en septembre 2006 par des chefs de tribus sunnites de la province occidentale d'Al-Anbar, puis peu à peu généralisés aux autres zones de peuplement sunnites du pays, les groupes Sahwa ont infligé de sévères revers à Al-Qaeda.

Ces miliciens ont largement contribué à faire reculer l'organisation islamiste et diminuer la violence dans ces régions qui constituaient depuis 2003 les foyers de l'insurrection anti-américaine.

Parmi les quelque 100.000 membres des Sahwas répertoriés, 54.OOO se trouvent à Bagdad et 29.000 dans les provinces du nord, dont Salaheddine, Diyala, Kirkouk et Ninive, selon l'armée américaine.

Au total, le gouvernement irakien s'est engagé à enrôler 20% des Sahwas dans les rangs de ses forces de sécurité, et à ce que le reste puisse accéder à des emplois civils, publics ou privés.

Mais l'incertitude sur le sort de ces derniers nourrit les inquiétudes.

«Que va-t-il advenir des 80% restants?», s'interroge Abou Safan, un leader Sahwa d'Adhamiyah, un quartier sunnite du nord de Bagdad et autrefois foyer de la rébellion.

«Ils devraient être protégés, car ils sont des cibles pour Al-Qaeda. Nous sommes contents d'être avec le gouvernement, mais de nombreuses incertitudes demeurent», déclare-t-il à l'AFP.

Le gouvernement, dominé par les chiites, reste par ailleurs méfiant vis-à-vis des Sahwas, ex-insurgés sunnites qui ont combattu les armes à la mains les milices chiites ainsi que les forces irakiennes.

«Le gouvernement chiite voit les Sahwas comme des ennemis politiques, des guerriers sunnites qui étaient membres d'Al-Qaeda ou d'autres groupes rebelles (...) et doivent donc être punis», estime le député kurde Mahmoud Othman.

Les responsables américains assurent de leur côté qu'ils feront le maximum pour que cette transition se passe en douceur avec leur soutien.

«Ils ont payé un lourd tribut en combattant Al-Qaeda à nos côtés, et nous serons là pour les accompagner», a ainsi déclaré le général Jeffery Hammond, N.1 de l'armée américaine à Bagdad.

Celui-ci a appelé le gouvernement à faire de même. «Le monde entier regarde ce vous allez faire avec les Sahwas, notamment à Bagdad au départ», a-t-il souligné.

Il a notamment insisté sur le fait que ceux qui ne trouveraient pas d'emploi «pourraient revenir en colère dans la rue» et qu'«Al-Qaeda pourrait les recruter».

Joost Hiltermann, spécialiste du Moyen-Orient à l'International Crisis Group (ICG) estime lui aussi que «le problème n'est pas tant le transfert mais l'intégration de ces hommes» dans la société civile.

«C'est en partie un problème de capacité, mais surtout un problème de volonté, qui ne se résout que par la confiance. Car en cas de défiance mutuelle (entre le gouvernement et les Sahwas), l'intégration dans les forces de sécurité ou d'autres emplois sera loin d'être optimale», explique-t-il à l'AFP.

«Et dans ce cas, il est très probable que des Sahwas vont retourner du côté des rebelles» pour tenter de faire regagner aux sunnites de l'influence dans le jeu irakien, souligne-t-il.