(Varsovie) Grand nettoyage dans les hauts échelons de l’armée russe : ces dernières semaines, au moins quatre généraux ou responsables ont été arrêtés pour corruption, ce qui illustre la montée en puissance des technocrates au sein de la machine de guerre du Kremlin.

Après plus de deux ans d’une invasion de l’Ukraine coûteuse et dévastatrice, ce qui ressemble à une purge coïncide avec le remplacement du ministre de la Défense de longue date de Vladimir Poutine, Sergueï Choïgou, auquel a succédé le 12 mai un économiste sans expérience militaire, Andreï Belooussov.

Le message est clair : alors que la guerre et la confrontation avec les Occidentaux promettent d’être longues, la corruption généralisée dans le secteur de la défense russe doit laisser place à l’« optimisation » des dépenses et à l’innovation technologique.

Dernier en date à faire les frais de ce revirement, le général Vadim Chamarine, chef adjoint de l’état-major russe, a été placé en détention provisoire par un tribunal militaire, accusé d’avoir « accepté un pot-de-vin particulièrement important », ont rapporté jeudi les médias russes.

Ce haut gradé en charge des communications, un domaine où les forces russes avaient rencontré de gros problèmes au début de l’invasion selon des analystes, encourt jusqu’à 15 ans de prison.

Depuis fin avril, deux autres hauts responsables de l’armée russe, Timour Ivanov, vice-ministre de la Défense, et Iouri Kouznetsov, chargé des ressources humaines, ont également été arrêtés. Au moins un autre vice-ministre, Iouri Sadovenko, a été limogé, remplacé par un auditeur à la Cour des comptes, Oleg Saveliev.

Mardi, c’est le général Ivan Popov, ancien commandant de la 58armée combattant en Ukraine, qui était arrêté pour « fraude ». Il avait été limogé l’été dernier après avoir, selon lui, alerté sur les difficultés sur le front en Ukraine.

Le Kremlin s’est cependant défendu jeudi de toute volonté de « purger » l’armée. « La lutte contre la corruption est un travail continu […] Il ne s’agit en aucun cas d’une campagne organisée », a affirmé le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov.

« Changer l’arrière »

Pour l’expert militaire russe Alexandre Khramtchikhine, le pouvoir sait « depuis longtemps » que le budget de la défense est utilisé de manière inefficace, mais en temps de guerre, cette réalité « est devenue trop évidente pour fermer les yeux ».

D’autant que la Russie, visée par de multiples sanctions occidentales, a réorienté son économie vers l’industrie de guerre, avec une hausse spectaculaire de 70 % du budget fédéral alloué à la défense prévu en 2024.

Pour ne pas faire de vagues, le Kremlin a donc attendu le remaniement ministériel consécutif à la réélection de Vladimir Poutine pour lancer sa chasse aux sorcières.

« En temps de guerre, l’argent doit être dépensé correctement. D’où la nomination de Beloousov : il doit s’assurer que tout est fait correctement et que l’argent n’est pas gaspillé […] L’avenir dira s’il y parviendra », explique l’analyste.

Le problème est d’autant plus embarrassant que la corruption au sommet de l’armée était l’une des critiques les plus virulentes du patron du groupe paramilitaire Wagner, Evguéni Prigojine, à l’origine d’une rébellion avortée en juin 2023 et décédé deux mois plus tard dans un écrasement d’avion aux circonstances restées opaques.

Pour autant, les deux ennemis jurés de M. Prigojine n’ont pas été « purgés » : l’ex-ministre Sergueï Choïgou est désormais secrétaire du Conseil de sécurité russe, et le chef d’état-major Valéri Guérassimov est toujours en place.

Le sort d’un autre général, Sergueï Sourovikine, très respecté par les troupes mais tombé en disgrâce après la révolte de Wagner, reste incertain. Il a été vu pour la dernière fois en public en septembre 2023 lors d’une visite en Algérie.

« La situation (dans l’armée) est grave et la corruption évidente », tranche un analyste militaire russe réputé, qui a demandé à rester anonyme.

Selon lui, Vladimir Poutine a conscience que la guerre d’usure contre l’Ukraine, aidée par les Occidentaux, ne peut pas durer éternellement et est forcé de « prendre des mesures radicales », en « changeant les hommes de l’arrière » où « se situent les problèmes ».

Le but : « obtenir des résultats » sur le front avant que l’armée ukrainienne ne retrouve des forces avec l’arrivée de nouveaux armements occidentaux et la mobilisation de nouveaux soldats.

« L’essentiel pour le Kremlin est de gagner la guerre, pas de vaincre la corruption », résume-t-il.