(Kyiv) Sanctionner les réfractaires ? Tirage au sort pour sélectionner les nouveaux soldats ? Exemptions payantes ? Un débat sur la mobilisation fait rage en Ukraine, l’armée devant remplir ses rangs après bientôt deux ans de guerre avec la Russie.

Le président Volodymyr Zelensky a dit en décembre que l’armée, qui a subi de lourdes pertes et peine à trouver des volontaires, avait proposé de mobiliser « 450 000 à 500 000 personnes » supplémentaires pour faire face aux quelque 600 000 soldats russes déployés en Ukraine.

Mais il a ajouté avoir besoin d’entendre « davantage d’arguments » pour trancher, tant le sujet est sensible dans un pays épuisé par la guerre, notamment après l’échec de la grande contre-offensive de l’été 2023.  

Les forces ukrainiennes comptent environ 850 000 hommes. Si elles ne dévoilent ni le nombre des soldats envoyés sur le front ni leurs pertes, chaque Ukrainien a pu voir grossir les secteurs militaires des cimetières de son pays.  

Les dernières estimations américaines en date publiées en août par le New York Times évoquaient près de 70 000 morts et jusqu’à 120 000 blessés.

PHOTO MAURICIO LIMA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les parents du soldat ukrainien Yaroslav Yarotskyi lors de sa cérémonie funéraire qui s’est tenue dans un cimetière de Boryspil, en Ukraine, le 20 novembre 2023.

Abaisser l’âge

L’élan patriotique des premiers mois, quand les Ukrainiens partaient en masse volontairement au front, n’est plus là. De plus en plus souvent, des médias évoquent des hommes récalcitrants à la mobilisation.  

Dans ce contexte, le gouvernement a soumis fin décembre au Parlement un projet de loi qui prévoit d’abaisser l’âge de mobilisation de 27 à 25 ans, simplifie les procédures d’enrôlement et introduit de nouvelles sanctions pour les réfractaires, comme des restrictions en matière de permis de conduire et l’interdiction de transactions immobilières.  

Le texte restreint en revanche à 36 mois le service en temps de guerre, alors qu’il est actuellement illimité.

Mais pour le commissaire ukrainien aux droits de l’homme, Dmytro Loubinets, sanctionner toujours plus pose problème.  

« Nous ne pouvons pas en arriver au stade où, en combattant la Russie, nous nous transformerons en quelque chose de similaire à la Russie où les lois ne fonctionnent plus et où la Constitution n’est qu’un bout de papier », a-t-il déclaré à la télévision.  

Face aux critiques, plusieurs responsables parlementaires et la présidence ont assuré que ce texte serait débattu et amendé.  

Une commission parlementaire chargée de la défense a entamé jeudi l’examen du projet à huit clos.

PHOTO MSTYSLAV CHERNOV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des militaires ukrainiens marchent sur les rives du fleuve Dnipro après être sortis d’un bateau sur la ligne de front près de Kherson, en Ukraine, le 15 octobre 2023.

Les Ukrainiens interrogés par l’AFP dans les rues de Kyiv étaient quant à eux divisés sur ce durcissement des règles figurant dans le projet de loi.  

« Je suis contre des sanctions aussi dures », dit ainsi à l’AFP Olena, 42 ans, tandis que Lioudmyla, 50 ans, dont le mari et le gendre servent dans les forces armées, est d’un avis opposé. « Pourquoi certains doivent-ils combattre et d’autres non ? Si c’est une question de sécurité nationale, tous les citoyens doivent participer ».

« Il faut être dur. On n’a pas vraiment le choix », renchérit Anton, 17 ans, qui envisage de s’enrôler à 18 ans malgré l’opposition de ses parents.  

Argent ou hasard ?

Sur les réseaux sociaux, on appelle toujours plus souvent à mobiliser les enfants de l’élite et l’on dénonce certaines propositions de responsables politiques.  

Une parlementaire du parti présidentiel, Mariana Bezougla, a émis l’idée d’une exonération de mobilisation en échange d’un don important fait au budget.  

« Et ceux qui n’ont pas d’argent, qu’ils crèvent dans les tranchées et que leurs enfants deviennent orphelins ? » s’est insurgé un internaute sur la page Facebook de la députée. « La guerre, c’est pour les pauvres », a renchéri une autre.  

Un ex-ministre de l’Économie, Tymofiï Mylovanov, a pour sa part rappelé que les États-Unis avaient recouru au tirage au sort pendant la guerre du Vietnam : « L’État choisit au hasard un jour et un mois. Les personnes nées ces jours-là sont mobilisées ».  

« Une maison de fous », a rétorqué l’avocate bien connue Laryssa Denyssenko, dénonçant deux propositions « absolument nuisibles ».  

Parallèlement, des voix s’élèvent pour réclamer une démobilisation de ceux qui sont au front depuis longtemps. D’autres veulent des mesures pour pousser les Ukrainiens de l’étranger à rentrer combattre.  

« Il ne peut y avoir de justice dans cette réalité de carnage », a estimé l’écrivain Artem Tchekh, qui a rejoint l’armée en tant que volontaire.  

Mais « si les plombiers et les employés de bureau ne rejoignent pas l’armée, l’armée ennemie viendra à ces mêmes plombiers et employés de bureau », a-t-il averti sur Facebook.