La guerre en Ukraine entrera dans sa troisième année au mois de février. Mais rien n’indique une fin des hostilités à court terme. À quoi s’attendre en 2024 pour ce conflit qui a déjà fait 10 000 morts chez les civils, 8 millions de réfugiés et 500 000 militaires tués ou blessés ? Quels défis attendent l’Ukraine, dans un contexte d’incertitude politique et militaire ? Qu’attendre de la Russie, qui annonçait début décembre une nouvelle mobilisation ? Quatre scénarios.

Blocage au Congrès américain

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Le président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson, s’entretient avec les journalistes, au Capitole, le 12 décembre.

La résolution du conflit dépend largement de l’aide militaire et financière occidentale – et particulièrement américaine – à l’Ukraine. Les États-Unis ont jusqu’ici injecté plus de 100 milliards pour la défense et le fonctionnement du pays. Mais au moment d’écrire ces lignes, Kyiv était toujours suspendu à la promesse d’une nouvelle enveloppe de 60 milliards de dollars, demandée au Congrès par la Maison-Blanche. Or, la frange dure du Parti républicain s’oppose au texte, tant que les démocrates n’accepteront pas en échange un durcissement de la politique migratoire américaine.

Et ce n’est pas la visite à Washington du président ukrainien le 12 décembre qui a changé la donne. Plaidant sa cause tout d’abord devant un Sénat à majorité démocrate, qui lui est favorable, et ensuite à la Chambre des représentants tenue par les républicains, où une certaine opposition à une nouvelle aide financière se fait sentir, Volodymyr Zelensky s’est heurté à un Congrès divisé.

La déclaration faite aux journalistes par Mike Johnson, président républicain de la Chambre des représentants, à la suite de sa rencontre avec M. Zelensky, n’est pas pour rassurer. « Ce que l’administration Biden semble vouloir, ce sont des milliards de dollars supplémentaires sans supervision adéquate, sans réelle stratégie de victoire », a rapporté l’Agence France-Presse.

Ce bras de fer, lié à une remontée isolationniste chez les conservateurs, se joue alors que les États-Unis entrent dans une année électorale cruciale. Et inquiète avec raison le gouvernement ukrainien, qui voit fondre ses derniers crédits.

Si ce blocage perdure, ce serait un coup très dur. Ça ne peut qu’avoir un effet terrible sur le déroulement des opérations sur le terrain en Ukraine.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa.

« Est-ce que le speaker [président de la Chambre des représentants, républicain] va faire un compromis à un moment donné ? On verra, poursuit Dominique Arel. Ce qui est sûr, c’est que si on se retrouve dans un an avec l’élection de [Donald] Trump, c’est terminé pour la guerre en Ukraine, parce que Trump n’est pas intéressé. »

Le cas échéant, quel plan B pour Volodymyr Zelensky ?

Désengagement de la communauté internationale

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La guerre menée par Israël contre le Hamas dans la bande de Gaza, à la suite de l’attaque du 7 octobre perpétrée par le mouvement islamiste, fait de l’ombre à la guerre en Ukraine.

Depuis le début de la crise israélo-palestinienne, le 7 octobre, la guerre en Ukraine a semblé sortir de l’écran radar occidental. C’est dire la fragilité du soutien international dans ce conflit qui s’étire. Selon Yann Breault, professeur au Collège royal militaire de Saint-Jean, Kyiv a raison de s’inquiéter. Car ce désintérêt progressif pourrait mener à un désengagement plus concret.

Le problème, c’est que les chancelleries occidentales opèrent dans un cadre démocratique avec des cycles électoraux. Or, ce n’est pas évident de convaincre le payeur de taxes que c’est une bonne chose d’investir dans un conflit qui se prolonge pour affaiblir la Russie au détriment des vies ukrainiennes.

Yann Breault, professeur au Collège royal militaire de Saint-Jean

Médias et sondages confirment de fait un certain fléchissement dans la dynamique du soutien à l’Ukraine, tant aux États-Unis qu’en Europe. Selon un rapport récent de l’Institut Kiel, les aides occidentales seraient en baisse de 90 % sur la période d’août à octobre 2023 par rapport à l’année précédente. Une enveloppe de 50 milliards d’euros envisagée par l’Union européenne était par ailleurs bloquée début décembre par certains pays européens, désormais plus réticents à contribuer au fonds ukrainien, comme la Hongrie de Viktor Orbán.

Dominique Arel reste optimiste malgré tout. « C’est sûr que ça sert moins les intérêts des Ukrainiens d’être moins dans les médias internationaux, dit-il. Mais mon intuition, c’est que le choc provoqué par l’invasion de l’Ukraine est tel que le soutien va perdurer en Europe. »

Même son de cloche chez Maria Popova, experte de la région et professeure de science politique à l’Université McGill. « L’OTAN est parfaitement consciente que cette guerre est un enjeu stratégique et que c’est hautement dangereux pour l’Europe. Parce que si la Russie l’emporte en Ukraine, il est clair que ses ambitions sont plus grandes. L’Europe ne peut donc pas se permettre de regarder ailleurs. »

Incapacité à percer le front

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Le commandant en chef des armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, a fait son mea culpa, admettant l’échec de sa contre-offensive.

La contre-offensive estivale de l’armée ukrainienne n’a pas donné les résultats escomptés. Cette incapacité à percer les lignes ennemies se conjugue aux assauts répétés de l’armée russe sur la ville d’Avdiïvka, où des combats acharnés ont eu lieu tout l’automne. Rien pour aider : les stocks d’armes et de munitions occidentaux se tarissent, le rythme de production des industries de défense étant loin d’être suffisant pour le camp ukrainien.

Bref, le conflit piétine, l’hiver s’annonce long, et l’Ukraine commence à se démoraliser.

Pour la première fois, certains médias ont même évoqué cet automne une victoire possible de Vladimir Poutine, dans l’éventualité d’un étirement du conflit.

En entrevue au magazine The Economist, le commandant en chef des armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, a admis en octobre l’échec de sa contre-offensive et reconnu qu’une guerre longue serait catastrophique pour l’Ukraine. « Le plus grand risque d’une guerre de tranchées d’usure est qu’elle peut durer des années et épuiser l’État ukrainien », a dit celui que plusieurs voient désormais comme un rival de Volodymyr Zelensky, les deux hommes affichant de plus en plus ouvertement leurs différends sur la façon de mener la guerre.

La livraison attendue d’avions F-16 occidentaux pourrait faire bouger les lignes. Mais seules des innovations technologiques importantes pourraient permettre de neutraliser les capacités militaires russes, a estimé le général Zaloujny en évoquant des capacités de guerre électronique, de l’équipement de déminage de pointe et l’intégration de solutions robotiques importantes. Selon lui, il n’y a toutefois aucun signe d’une percée imminente dans ces domaines.

La Russie, entre puissance et pieds d’argile

PHOTO MIKHAIL TERESCHENKO, REUTERS

Le président Vladimir Poutine, à Moscou, le 12 décembre

Les ressources de Moscou semblent inépuisables. Vladimir Poutine annonçait début novembre une augmentation de 68 % de son budget militaire et une hausse de 15 % de ses effectifs humains. Malgré les sanctions sans précédent, la Russie a par ailleurs tenu bon. Son économie a repris le chemin de la croissance, à la faveur d’échanges commerciaux avec la Turquie, la Chine ou l’Inde.

[La Russie] n’est pas devenue un paria isolé. Il y a eu du côté occidental une surévaluation de l’arme financière déployée, qui affecte le pays, certes, mais pas suffisamment pour déstabiliser le régime en place.

Yann Breault, professeur au Collège royal militaire de Saint-Jean

Pour autant, Poutine ne sera pas sans défis en 2024. Maria Popova rappelle que la Russie vit une sérieuse crise démographique (naissances en baisse, vieillissement de la population, exode des jeunes pour éviter la mobilisation, morts au front), qui se traduit par un manque de main-d’œuvre et pourrait à terme déboucher sur des difficultés de recrutement. « La guerre fait aussi des ravages pour la Russie. Si ce conflit s’étire encore une autre année, ce n’est pas garanti qu’elle pourra maintenir le rythme », explique l’experte.

Difficile, enfin, de savoir ce qui se passe au Kremlin. Le régime de Poutine ne montre aucun signe d’affaiblissement. Mais la rébellion du groupe Wagner en juin dernier et les récentes émeutes anti-Israël à l’aéroport du Daguestan, deux crises mal maîtrisées, laissent croire que le géant pourrait avoir des pieds d’argile.

« À mon avis, il y a une grande fragilité, due à l’ultracentralisation du système russe, conclut Dominique Arel. Le système est tellement sclérosé jusqu’au sommet que c’est à se demander jusqu’à quel point il peut perdurer… »

Avec l’Agence France-Presse