(Amsterdam) Les Pays-Bas, longtemps considérés comme l’un des pays les plus socialement libéraux d’Europe, se sont réveillés avec un paysage politique radicalement différent jeudi, après qu’un parti d’extrême droite eut balayé les élections nationales dans un résultat qui s’est répercuté dans toute l’Europe.

Le Parti pour la liberté de Geert Wilders, qui prône l’interdiction du Coran, la fermeture des écoles islamiques et l’arrêt total de l’accueil des demandeurs d’asile, a remporté 37 sièges à la Chambre des représentants, qui en compte 150, ce qui en fait de loin le parti le plus important et constitue un désaveu clair pour l’establishment politique du pays.

Les résultats, calculés dans la nuit de mercredi à jeudi, donnent à M. Wilders suffisamment de soutien pour tenter de former une coalition gouvernementale. Les partis centristes et de centre droit, qui se méfient depuis longtemps de ce fauteur de troubles, ont laissé la porte entrouverte à un éventuel partenariat, donnant ainsi à M. Wilders une chance de devenir le premier premier ministre d’extrême droite des Pays-Bas.

Alors que l’ensemble du spectre politique s’est dit surpris par le résultat des élections et que la réputation de libéralisme des Pays-Bas persiste, les experts estiment que M. Wilders a réussi à exploiter un mécontentement à l’égard du gouvernement qui remonte à au moins deux décennies.

« Cela ne vient pas de nulle part », a dit Janka Stoker, professeure de leadership et de changement organisationnel à l’Université de Groningue.

Félicité par l’extrême droite

Geert Wilders a été une présence politique persistante aux Pays-Bas tout au long de ces années, et il semble que son heure soit venue.

Homme politique de carrière, M. Wilders est membre de la Chambre des représentants des Pays-Bas depuis 1998. En 2004, il s’est séparé du parti dirigé par le premier ministre Mark Rutte, pour former le Parti pour la liberté deux ans plus tard.

PHOTO PHIL NIJHUIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre par intérim Mark Rutte place son bulletin de vote dans l’urne d’un bureau de La Haye, aux Pays-Bas.

Exceptionnellement, son parti n’est pas basé sur une structure d’adhésion, ce qui fait de lui le seul décideur et le synonyme de son parti.

Il est idéologiquement proche de la Française Marine Le Pen, leader du Rassemblement national d’extrême droite, et a reçu de chaleureuses félicitations de Viktor Orbán, premier ministre hongrois devenu une autre icône de l’extrême droite.

M. Wilders a parfois été comparé à l’ancien président Donald Trump, pour son penchant à dire les choses de la manière la plus directe et la plus clivante qui soit. De nombreux partisans de M. Wilders disent se sentir encouragés et soulagés qu’il soit prêt à donner une voix à ce qu’ils ne peuvent pas dire ou pensent ne pas être censés dire.

Au fil des ans, les commentaires de Geert Wilders sur les immigrés marocains aux Pays-Bas ont attiré l’attention des médias. Ils l’ont également conduit devant les tribunaux.

En 2014, M. Wilders a demandé à ses partisans s’ils voulaient plus ou moins de Marocains aux Pays-Bas, ce qui a amené la foule à scander : « Moins ! Moins ! »

Un tribunal néerlandais a reconnu M. Wilders coupable d’avoir insulté un groupe avec le chant anti-marocain, mais il a évité la sanction.

Lors d’un évènement de campagne en 2017, M. Wilders a qualifié les immigrés marocains de « racaille ».

« Terroristes de rue »

Au cours de la récente campagne, il s’est présenté sur une plateforme « Les Néerlandais d’abord », bien que dans les derniers jours de la course, il ait modéré une partie de son vitriol anti-islam, affirmant qu’il y avait des « priorités plus importantes ».

Il a également affirmé que ses propositions « seraient conformes à la loi et à la Constitution », afin de convaincre les autres partis de gouverner avec lui.

Mais si son langage s’est adouci, ce n’est pas le cas du programme de son parti. « Les Pays-Bas ne sont pas un pays islamique : il n’y aura pas d’écoles islamiques, de corans et de mosquées », peut-on lire dans le programme.

PHOTO PETER DEJONG, ASSOCIATED PRESS

Des passantes marchent devant une illustration du parlement néerlandais, actuellement en rénovation, à La Haye.

« Les frontières sont grandes ouvertes et tous ceux qui entrent veulent un espace de vie », ajoute le programme, qui préconise une politique de « tolérance zéro » pour contenir ce qu’il appelle les « terroristes de rue » et promet le financement de 10 000 agents de police supplémentaires.

« La police doit à nouveau être responsable dans la rue », selon la plateforme. « Les criminels doivent être arrêtés immédiatement et mis en prison pour une longue période. »

M. Wilders – ainsi que d’autres hommes politiques, dont Pieter Omtzigt, un centriste qui espérait faire basculer les élections – avait établi un lien entre l’augmentation du nombre d’immigrés et la pénurie de logements, qui était l’une des principales préoccupations des électeurs néerlandais.

Mais c’est finalement Geert Wilders qui s’est fait l’écho d’un mécontentement qui, selon les experts, remonte au moins à l’ascension de Pim Fortuyn, un populiste de droite assassiné une semaine avant des élections pour lesquelles il était en tête des sondages d’opinion. M. Fortuyn, qui espérait devenir le premier premier ministre homosexuel des Pays-Bas, s’était présenté il y a plus de 20 ans avec une forte plateforme anti-immigrés.

« Élections volatiles »

Le mécontentement des électeurs s’est également manifesté lors d’élections plus récentes : Les votes régionaux de cette année et de 2019, qui déterminent la composition du Sénat néerlandais, ont vu de grandes victoires de nouveaux venus populistes.

L’année dernière, 60 % des Néerlandais se sont dits mécontents de la manière dont la politique était menée dans le pays, selon l’Institut néerlandais de recherche sociale.

Les élections sont souvent une réaction à ce qui s’est passé précédemment, a analysé Mme Stoker, faisant référence au mandat record de 13 ans de M. Rutte au poste de premier ministre. Le gouvernement Rutte s’est effondré en juillet en raison de différends sur la politique d’immigration, ce qui a précipité les élections de mercredi.

PHOTO ROBIN VAN LONKHUIJSEN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des militants antifascistes sont rassemblés devant l’hôtel de ville d’Utrecht, au sud d’Amsterdam, au lendemain de l’élection de Geert Wilders. « Un raciste n’est pas un ministre », peut-on lire sur la pancarte au premier plan.

Bien que M. Rutte ait été un pilier de la politique néerlandaise, plusieurs scandales ont entaché son leadership, ce qui a contribué à l’érosion de la confiance dans le gouvernement, selon des experts politiques néerlandais. M. Rutte restera premier ministre intérimaire jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement.

Dans les derniers jours de la campagne, M. Wilders a commencé à remonter dans les sondages, aidé en partie par ce que beaucoup considèrent comme de bonnes performances dans les débats télévisés, une plus grande attention des médias à son égard et un léger assouplissement de certaines de ses positions extrêmes sur l’islam.

Mais la marge de victoire est inattendue. Le parti de M. Wilders a souvent obtenu de meilleurs résultats dans les sondages d’opinion que lors des élections. Cette fois, la tendance s’est inversée.

« Ces élections ont été les plus volatiles de tous les temps. Jamais auparavant autant de sièges n’avaient changé de mains », a observé Tom van der Meer, professeur de sciences politiques à l’Université d’Amsterdam.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times

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