L’invasion russe n’a pas complètement freiné les étrangers dans leur quête d’une mère porteuse en Ukraine.

« Nous avons un couple sud-américain actuellement à Kyiv, il y est depuis des semaines, parce qu’il voulait y être à l’avance en prévision de l’accouchement, illustre Susan Kersch-Kibler, fondatrice de l’agence Delivering Dreams. Il y a beaucoup de sirènes d’alerte à Kyiv. Mais tous vont bien, je n’ai reçu aucun appel inquiet, pas de plainte, rien. »

L’Américaine a fondé son agence en 2007, au New Jersey, pour servir d’intermédiaire entre les parents d’intention et les mères porteuses. Ses clients proviennent de différents pays, mais les mères porteuses sont toutes ukrainiennes. « C’est en raison de la légalité, précise-t-elle, un drapeau ukrainien bien visible sur son bureau pendant l’interview vidéo. En Ukraine, c’est légal et c’est réglementé. »

Le début de l’invasion a causé une période de flottement pour les cliniques ukrainiennes spécialisées dans la procréation, mais le secteur a repris ses activités.

Depuis le début de l’invasion russe, en février 2022, plus de 1000 enfants seraient nés de mères porteuses, selon des données récoltées dans des cliniques ukrainiennes par le Guardian, contre environ 2500 par année auparavant.

Si Mme Kersch-Kibler assure que la gestation pour autrui peut se faire de façon sûre dans un grand pays comme l’Ukraine, en hébergeant les femmes enceintes loin de la ligne de front – elle-même continue de se rendre sur place régulièrement –, d’autres spécialistes de la question déconseillent cette destination.

PHOTO LYNSEY ADDARIO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des bébés nés de mères porteuses ont été placés à l’abri de la guerre dans une pouponnière dans un sous-sol, en mars 2022, à Kyiv.

« Irresponsable »

« Depuis le début de la guerre, nous avons maintenu la position très ferme que nous jugeons irresponsable pour des parents d’intention de se tourner vers un pays en guerre », indique en visioconférence Sam Everingham, directeur global de l’organisme australien Growing Families, spécialisé dans le domaine.

En raison des enjeux de sécurité pour la femme, le bébé et les parents, et de l’instabilité qui peut mener à des fermetures – notamment des services consulaires lorsque vient le temps de régler les détails administratifs pour récupérer le poupon. Mais, aussi, pour des questions éthiques.

Notre position est que ce n’est pas éthique d’opter pour un pays en guerre. Nous étions heureux d’aider les gens qui avaient déjà des gestations en cours quand la guerre a commencé, mais notre politique est de ne pas aider ceux qui ont décidé de s’engager dans ce processus après le début de la guerre en février 2022.

Sam Everingham, directeur global de l’organisme australien Growing Families

Les premières heures de l’invasion ont causé des maux de tête aux mères porteuses, aux parents d’intention et aux agences de gestation pour autrui. Des spécialistes de la sécurité ont été envoyés sur place pour prêter main-forte dans les évacuations.

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Mère porteuse venant d’accoucher, à Kyiv, en août 2022

Reloger les femmes enceintes à l’extérieur des frontières ukrainiennes peut sembler une bonne idée, mais cela crée un casse-tête juridique en raison de la législation différente d’un pays à l’autre pour la reconnaissance des parents. Si une de ces femmes accouchait en Pologne, par exemple, le bébé serait vraisemblablement reconnu comme étant légalement le sien et les parents d’intention auraient beaucoup de difficulté à récupérer leur poupon. Alors qu’en Ukraine, les parents d’intention sont considérés comme le père et la mère du nouveau-né.

Destination populaire

Avant la guerre, l’Ukraine était « une destination massive » pour les couples hétérosexuels optant pour la procréation à l’étranger, en raison de ses lois et de ses coûts, explique M. Everingham. La moitié de la clientèle de son organisme – il estime assister entre 400 et 500 personnes par année – faisait affaire avec une mère porteuse ukrainienne.

Le pays permet la gestation pour autrui contre rémunération pour des couples hétérosexuels incapables de procréer, peu importe leur pays d’origine. Au Canada, comme dans plusieurs pays, une mère porteuse ne peut pas être payée pour cet acte.

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Une préposée s’occupe d’un bébé né d’une mère porteuse, à Kyiv, en mars 2022

L’Ukraine s’est positionnée comme un choix avantageux financièrement au fil des ans : si les prix varient selon les services, faire appel à une mère porteuse coûterait au minimum 33 500 $US en Ukraine contre 110 000 $US aux États-Unis, selon une compilation de l’organisme australien.

C’est d’ailleurs en raison des coûts, des lois et de l’expertise déjà sur place que des couples continuent de choisir ce pays, malgré la guerre.

Certains optent pour l’Ukraine parce que leurs embryons y étaient déjà et ils ne voulaient pas les déplacer, d’autres parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’aller ailleurs ou parce qu’ils avaient eu une bonne expérience en Ukraine.

Sam Everingham, directeur global de l’organisme australien Growing Families

Payant

C’est une façon, aussi, pour les cliniques, les agences et les femmes de reprendre une activité lucrative, alors que l’économie ukrainienne souffre de la guerre.

Les mères porteuses de Delivering Dreams « gagnent cinq ou six fois le salaire annuel en Ukraine », assure Mme Kersch-Kibler. « Elles peuvent s’acheter une maison, prendre soin de leurs enfants », ajoute-t-elle.

Elle ne s’inquiète pas outre mesure pour la sécurité de ces femmes hébergées dans l’ouest du pays, où elle est allée en mai dernier. Quant aux parents d’intention de l’agence, ils se rendent maintenant en Slovaquie plutôt qu’en Ukraine pour les prélèvements menant à la fécondation ou envoient ovules ou sperme par transport spécialisé. « Aucun n’a refusé de se rendre en Ukraine » pour récupérer le bébé, dit-elle. Ces parents d’intention passent par Kyiv pour régler les détails administratifs.

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Svitlana Burkovska, propriétaire d’une petite agence de mères porteuses, photographie un bébé pour ses parents biologiques, en août 2022, à Kyiv.

S’il est vrai que Kyiv et l’ouest du pays ont été peu touchés par les combats, la région n’a pas été totalement épargnée par la guerre et les attaques de missiles.

Le Canada déconseille tout voyage en Ukraine.

Il reste difficile de savoir combien de parents canadiens ont eu recours à des mères porteuses ukrainiennes, récemment ou avant la guerre. Selon la loi, un enfant ayant un lien biologique ou juridique avec un citoyen canadien se voit automatiquement accorder la citoyenneté canadienne. Il n’a pas été possible de connaître le nombre de passeports canadiens délivrés pour des nouveau-nés en Ukraine au cours des dernières années. Le département des communications d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a indiqué ne pas disposer de données sur le sujet ni sur les passeports remis à des enfants nés de mères porteuses à l’étranger.