(Kyiv) L’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes, crucial pour l’alimentation mondiale, a expiré lundi soir, quelques heures après une attaque ukrainienne qui a endommagé pour la deuxième fois le pont stratégique reliant la Russie à la péninsule de Crimée qu’elle a annexée en 2014.

Moscou avait auparavant fait connaître son refus de prolonger l’accord, signé en juillet 2022 avec l’Ukraine sous l’égide des Nations Unies et de la Turquie, en dénonçant les entraves au commerce des produits agricoles russes.  

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a réagi à la décision russe, soulignant que « des centaines de millions de personnes font face à la faim » et qu’elles allaient en « payer le prix ».

Le chef de la diplomatie américaine a qualifié d’« inadmissible » la décision russe et assuré que cette décision allait entraîner une augmentation des prix de l’alimentation.

Le choix de Moscou de se servir « de la nourriture comme d’une arme […] va compliquer l’acheminement d’aliments dans les endroits qui en ont désespérément besoin et entraîner une hausse des prix », a déclaré le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

PHOTO NINA LIASHONOK, ARCHIVES REUTERS

L’accord permettait à l’Ukraine d’exporter ses céréales par la mer Noire.

Quant à l’Ukraine, elle a affiché sa volonté de continuer à exporter ses céréales par la mer Noire, avec ou sans l’accord de Moscou sur la sécurité des navires.

« Même sans la Russie, tout doit être fait pour que nous puissions utiliser ce couloir [pour les exportations] en mer Noire. Nous n’avons pas peur », a indiqué le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Tôt mardi, la défense aérienne ukrainienne a été activée dans la région d’Odessa (sud) dont trois ports faisaient partie de l’accord céréalier, ont fait savoir les autorités locales.

« L’ennemi attaque les régions du sud » de l’Ukraine avec des drones, a indiqué le commandement opérationnel pour le sud du pays sans fournir de précisions quant aux lieux ciblés ou éventuels dégâts.

Pour l’heure, la Russie a signifié une fin de non-recevoir aux appels qui s’étaient multipliés ces derniers jours à la reconduction de l’accord, réclamant que l’on réponde à ses exigences sur ses propres exportations de céréales et d’engrais.

L’accord « s’est de facto terminé aujourd’hui », a lancé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ajoutant que « dès que la partie concernant la Russie sera satisfaite, la Russie reviendra immédiatement à l’accord sur les céréales ».

Exigences russes

« Si les capitales occidentales apprécient vraiment l’Initiative de la mer Noire, alors qu’elles envisagent sérieusement de remplir leurs obligations et retirent effectivement les engrais et les produits alimentaires russes des sanctions », a expliqué le ministère russe des Affaires étrangères.

Signé en juillet 2022 sur les rives du Bosphore et déjà prorogé à deux reprises, l’accord a permis, sur l’année écoulée, de sortir près de 33 millions de tonnes de céréales des ports ukrainiens.  

La Turquie, l’Ukraine et l’ONU se sont vu notifier la décision du Kremlin, a souligné la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est cependant dit convaincu que son « ami M. Poutine » voulait maintenir cet accord.  

Attaque ukrainienne

Quelques heures plus tôt, une attaque ukrainienne par des drones navals a partiellement détruit, pour la deuxième fois, le pont qui enjambe le détroit de Kertch, reliant la Russie à la Crimée, une péninsule ukrainienne annexée en 2014.

D’importants dégâts ont été causés à la section routière de l’ouvrage, qui sert en particulier à acheminer du matériel aux militaires russes combattant en Ukraine, mais « la circulation des véhicules sur le pont de Crimée a été rétablie en sens inverse » sur une voie du pont, a déclaré tôt mardi le vice-premier ministre russe Marat Khousnoulline sur Telegram.

PHOTO CRIMEA24TV VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

L’attaque a été réalisée par les forces navales et les services secrets ukrainiens à l’aide de « drones navals », a indiqué lundi à l’AFP une source au sein des services ukrainiens de sécurité (SBU).

Le Comité antiterroriste russe (NAK) a précisé dans un communiqué qu’elle avait eu lieu à 3 h 05 (20 h 05 heure de l’Est) et confirmé qu’elle avait été effectuée avec des « drones navals de surface ».

PHOTO PHOTO COMITÉ RUSSE D’ENQUÊTE VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Deux civils, un homme et une femme qui circulaient en voiture, ont péri et leur fille a été blessée, a affirmé lundi le Comité d’enquête russe.

« Étant donné qu’il s’agit de la deuxième attaque terroriste sur le pont de Crimée, j’attends des propositions concrètes pour améliorer la sécurité de cette infrastructure de transport importante et stratégique », a réagi Vladimir Poutine.

« Il y aura bien sûr une réponse de la Russie. Le ministère de la Défense prépare des propositions appropriées », a-t-il assuré.

Sur Telegram, la chaîne de télévision publique Crimée-24 a diffusé une vidéo du pont montrant une portion de sa section routière effondrée.

Ce viaduc, long de 18 kilomètres, construit à grands frais sur ordre de M. Poutine et qu’il avait inauguré en 2018, consiste en deux ouvrages parallèles, l’un réservé à la circulation routière et l’autre au trafic ferroviaire.

PHOTO SPUTNIK VIA REUTERS

Le président russe Vladimir Poutine

La section ferroviaire n’a pas été endommagée et la circulation y a repris dans la matinée, ont annoncé les autorités de Crimée.  

Le gouverneur russe de la péninsule annexée, Sergueï Aksionov, a invité les touristes russes devant repartir en voiture à le faire via les territoires sous contrôle russe de l’est de l’Ukraine, dont certaines parties sont sous le feu de l’armée ukrainienne qui pilonne les voies de ravitaillement russes.

Le pont avait déjà été endommagé le 8 octobre par une explosion attribuée par les autorités russes à un camion piégé par les services secrets ukrainiens. Il avait fallu des mois de travaux avant de le remettre pleinement en service.

Sur le front, l’armée ukrainienne décrit ces derniers jours des combats « intenses » entre ses unités engagées dans une contre-offensive et les soldats russes.