(Bilozirka) Assises sur un banc sous un ciel ensoleillé lors d’une accalmie dans les bombardements russes, deux Ukrainiennes rieuses discutent de ce que l’on ressent en temps de guerre.  

Les ruines de leur village de Bilozirka s’étendent le long d’une route défoncée, au-delà de laquelle se trouvent des tranchées et les canons d’artillerie engagés dans la bataille pour la ville méridionale de Kherson.

Les forces russes tirent des salves depuis l’extrémité Sud de la route, où elles sont retranchées depuis leur retrait de ce village au cours du premier mois de guerre.

Les Ukrainiens ont tenté de les repousser davantage lors d’une contre-offensive plus récente dans l’espoir de se rapprocher de la Crimée, péninsule annexée par Moscou en 2014, au-delà de Kherson.

Sur le banc de Bilozirka, Angelika Boryssenko explique à son amie, plus âgée qu’elle, que n’importe qui peut s’habituer à n’importe quoi - même à une guerre à grande échelle comme celle qui se déroule actuellement sous leurs yeux.

Cette jeune femme de 20 ans, mère de deux enfants, a passé le mois de mars à ne pas se faire remarquer des soldats russes qui occupaient le village et avaient installé leur camp de base dans une école de l’autre côté de la route.

Elle a passé les mois suivants, marqués par les bombardements russes, à se cacher dans des caves ou à calculer le moment opportun pour sortir à la recherche d’eau et de nourriture.

« Au début, on ne pensait qu’au moment où ça allait enfin se terminer. Mais maintenant, cela semble normal. On s’y est habitué », raconte Angelika Boryssenko.

Natalia Popesko fronce les sourcils, laissant entendre que son amie n’a rien compris. « Personnellement, je me sens morte de l’intérieur », témoigne cette femme de 38 ans.

« Nous ne nous y sommes pas habitués. Nous avons simplement fini par accepter que c’est réel », dit-elle.

Espoir et désespoir

Les contre-attaques des forces ukrainiennes dans le Nord-Est et leurs poussées en profondeur dans le Sud ont laissé des territoires qu’aucun des deux camps ne contrôle totalement.

Bilozirka est l’une de ces « zones grises » privées de tout.

Certains habitants endurcis sont revenus et les troupes ukrainiennes se sentent suffisamment en sécurité pour se servir du village comme base arrière. Mais il n’y a ni services de l’État ni moyens d’assistance pour les quelques centaines d’habitants restants.

L’école où les Russes avaient leur quartier général n’est plus qu’une structure dévastée après avoir subi un assaut ukrainien.

Cet état entre guerre et paix fait qu’Anastassia Kouplevska oscille entre espoir et désespoir.

« S’il n’y a pas de bombardements, on se réveille et on a soudain envie de faire quelque chose », explique cette mère célibataire de 40 ans. « Mais s’ils commencent à tirer, on se sent immédiatement de nouveau impuissant ».

Et les jours où elle a le moral, il y a peu de choses qu’elle peut faire.

Les seuls emplois du village consistent à vendre des produits de base livrés depuis la ville voisine de Mykolaïv. Comme elle, la plupart des habitants travaillaient avant la guerre dans une usine de jus de fruits, plus loin.

Volonté de se battre

Les ponts ont été détruits pendant les combats et les routes secondaires sont toujours lourdement bombardées. « Je ne sais même pas si elle est encore debout », dit Mme Kouplevska à propos de son usine.

Elle s’agace aussi des offres d’aide des différents programmes humanitaires, qu’elle dit malavisées.

« Ils nous ont inondés de nourriture, mais on ne peut pas construire une maison avec de la nourriture », explique-t-elle.

La contre-offensive ukrainienne dans la région a poussé Moscou à cibler les infrastructures en eau et électricité, provoquant des pannes massives à l’approche de l’hiver.

Le Kremlin semble parier sur le fait que les difficultés briseront la volonté des Ukrainiens de se battre.

Mais les mois de souffrance ont eu l’effet exactement inverse sur les deux femmes qui devisent sur un banc de Bilozirka.

« Beaucoup d’entre nous avaient de la famille en Russie. Nous leur parlions. Nous les considérions comme des personnes normales », raconte Natalia Popesko. « Nous les considérons désormais comme des animaux ».

Ce avec quoi Angelika Boryssenko a eu le plus de mal, c’est l’idée même qu’il y ait une guerre.

« On la voit, on la ressent et on comprend que c’est vrai, mais on n’arrive pas à saisir que c’est réel », dit-elle. « On le comprend mais on ne peut pas y croire ».