(Mykolaïv) La pendule fissurée de la cuisine montre encore le moment où le premier missile russe a pulvérisé la cour d’un immeuble de l’ère soviétique faisant face au front sud ukrainien, à Mykolaïv, l’une des villes-clés dans la prochaine étape du conflit.

Le deuxième missile S.300 a explosé une minute plus tard, à 1 h 44 du matin. À ce moment là, Guennadiï Gerulo était déjà tombé du lit, réalisant qu’une grande partie de son ancien mode de vie avait disparu.

L’ingénieur a regardé par la fenêtre brisée de sa cuisine quelques heures plus tard et vu les frappes contre la ville portuaire de Mykolaïv comme le signe d’une victoire proche.

« Il est comme un amant jaloux », estime le quinquagénaire en parlant du président russe Vladimir Poutine. « Il dit que s’il ne peut pas avoir l’Ukraine, personne ne le peut. »

Les villes du sud de l’Ukraine telles que Mykolaïv vont jouer un rôle crucial dans la prochaine étape de la guerre éreintante que le maître du Kremlin a commencée il y a exactement huit mois.

Une contre-offensive ukrainienne fulgurante qui a forcé les Russes à quitter les territoires qu’ils avaient saisis dans le nord plus industriel a atteint le sud agricole.

Et des villes telles que Mykolaïv et Kryvyi Rih, à environ trois heures de voiture du nord-est offrent aux Ukrainiens deux bases pour lancer leurs prochaines attaques.

« Animal blessé »

La dernière vague de missiles, qui a fait quatre blessés, a renforcé la conviction de Svetlana Tichevska, une voisine de l’ingénieur Guennadiï Gerulo, selon laquelle l’Ukraine est sur la bonne voie.

Les autorités russes évacuent déjà la ville voisine de Kherson - la seule capitale régionale que les Russes ont réussi à contrôler pendant toute la guerre, qui a débuté le 24 février.

Une victoire ukrainienne dans cette zone couperait le pont terrestre que le Kremlin a établi entre la Russie et la péninsule de Crimée qu’il a annexée en 2014.

Cela redonnerait aussi un accès important à la mer d’Azov et laisserait à M. Poutine peu de marge de manœuvre dans une campagne militaire qui l’a transformé en paria international.  

En nettoyant les débris de la cage d’escalier quelques étages plus bas que l’ingénieur, Svetlana Tichevska exprime presque les mêmes pensées que son voisin.  

« Il est comme un animal blessé », dit-elle en parlant du président russe. « Il se détruit lui-même et veut entraîner les autres avec lui ».

Le mur de soutènement de l’immeuble de Svetlana s’est fissuré et la façade d’un immeuble plus petit de l’autre côté de la cour s’est partiellement effondrée.

Peu d’habitants pensent rester vivre dans l’un ou l’autre des immeubles.

« Je pense que la victoire est proche », estime cette femme de 50 ans, au milieu des destructions.  

Traînée de destruction

La traînée de destruction provoquée par les forces russes qui battent en retraite a engendré une hostilité à l’égard de Moscou dans des endroits où de nombreux habitants préfèrent parler russe et ont de la famille de l’autre côté de la frontière.

Guennadiï Gerulo, russophone, dit ne ressentir « rien d’autre que de la haine, de la pure haine pour ces gens qui se disent nos frères ».

L’écrasante majorité des attaques visent Mykolaïv et les villes environnantes après minuit, ou quand les gens se réveillent et sortent pour la première fois de la journée.

Le timing en intrigue beaucoup. Certains pensent que la Russie essaie peut-être de démoraliser les Ukrainiens en les privant de sommeil.  

« Les Russes veulent nous épuiser et déclencher des troubles civils. Ils veulent que nous forcions notre gouvernement à abandonner », estime l’ingénieur. « Ils ne connaissent pas d’autres moyens. »

Mykolaïv est devenu la cible de Moscou dans les premières semaines de l’invasion. Les Russes engrangeaient des gains considérables et visaient le port voisin d’Odessa, sur la mer Noire, une capitale culturelle mentionnée par Poutine lorsqu’il est entré en guerre.

Mykolaïv souffre pour la deuxième fois avec le retrait des troupes russes.

Mais Lioudmila Falko, une universitaire et bénévole à temps partiel, semble presque joyeuse en fouillant ce qu’il reste de l’appartement de sa fille.  

« Ces drones kamikazes et ces missiles, ce sont ses derniers actes », assure cette femme de 60 ans, à propos du président russe. « Les enfants meurent, les personnes âgées meurent parce qu’il est à l’agonie ».