En raison d’une baisse appréhendée de ses effectifs d’ici la fin de la décennie, l’armée suisse pourrait rendre le service militaire obligatoire pour les femmes, comme c’est déjà le cas pour les hommes.

L’idée est avancée dans un rapport intérimaire du Conseil fédéral de la Suisse, organe exécutif formé de sept membres, rendu public le 13 octobre. Des propositions finales seront soumises à l’été 2023 par le département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports, indique un document officiel.

Selon l’analyse du gouvernement suisse, l’armée compte actuellement 151 299 militaires, ce qui respecte les objectifs d’un « effectif réel » de 140 000 militaires requis. Mais sur l’horizon 2030, on craint une chute sous cette barre.

Deux phénomènes expliquent la diminution anticipée. D’abord, quelque 10 000 soldats quittent annuellement les rangs avant la date prévue, pour des raisons médicales ou pour se joindre à la protection civile. Aussi, l’obligation de servir est passée de 12 à 10 ans pour toutes les classes d’âge, ce qui signifie plus de départs annuels.

À l’heure actuelle, rares sont les pays où le service militaire est obligatoire pour les femmes. C’est entre autres le cas en Norvège, en Suède et en Israël.

Que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, l’idée du service obligatoire est récemment revenue à la surface, observe Stéfanie von Hlatky, professeure agrégée de science politique à l’Université Queen’s, à Kingston, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le genre, la sécurité et les forces armées.

« On a vu une baisse du service obligatoire après la fin de la guerre froide. Mais récemment, surtout après l’invasion de la Russie en Crimée [2014], certains pays se sont à nouveau posé la question », dit-elle.

En Suède, le retour du service obligatoire, incluant les femmes, a été moins controversé qu’on pourrait le croire, estime Mme von Hlatky. « Parce que cela a donné lieu à un débat sur l’équité, poursuit-elle. On a vu ça comme une étape, une réflexion sur les valeurs. »

Changer la culture

Charlotte Duval-Lantoine, directrice des opérations et fellow à l’Institut canadien des affaires mondiales (bureau d’Ottawa), se dit « très ambivalente » par rapport à l’imposition du service militaire pour les femmes, en citant Israël et la Norvège.

Selon elle, il est important de peaufiner davantage les mesures d’intégration. « Toutes les politiques sont centrées sur les forces et les limitations du corps comme de l’esprit masculin, dit-elle. On s’attend à ce que les femmes opèrent au même niveau alors que l’on sait très bien que physiologiquement, biologiquement et socialement, elles sont différentes. »

PHOTO INTS KALNINS, ARCHIVES REUTERS

Groupe de soldats norvégiens déployés en Lituanie dans le cadre d’un plan d’action de l’OTAN, en 2020

Une opinion que partage Jennifer Mathers, maître de conférence au département de politiques internationales à l’Université Aberystwyth, au pays de Galles.

On peut changer les règles, mais changer les attitudes prend beaucoup plus de temps. Ce n’est que l’an dernier que l’armée suisse a décidé de distribuer aux femmes des sous-vêtements adaptés à elles. Tout dans l’armée a été adapté en fonction des hommes : les casques, les véhicules, les vêtements…

Jennifer Mathers, maître de conférence au département de politiques internationales à l’Université Aberystwyth

Mme Mathers croit aussi que les femmes militaires vont vers des métiers similaires exercés à l’extérieur des rangs. « Elles vont vers les soins de santé, la logistique, le travail de pasteur, dit-elle. Des secteurs qui font écho à ceux où les femmes sont concentrées dans la sphère civile et aussi à la maison : amener les enfants à l’école, organiser les achats, payer les factures. »

Une proportion très basse

En Suisse, les femmes sont présentes dans l’armée depuis 80 ans. Elles ont le statut de militaire à part entière depuis 1995.

« Les mêmes services existent pour tous les militaires, sans différenciation entre les sexes, et les écoles de recrues et les unités sont mixtes, nous écrit Daniel Reist, porte-parole de l’armée suisse. Outre la même durée de service et la même instruction, les femmes reçoivent aussi la même arme personnelle que les hommes depuis 2004 et peuvent depuis prendre part à des engagements à l’étranger. »

Par contre, elles ne forment que 1,4 % des troupes. Au Canada, cette proportion est, en date d’avril 2022, de 16,3 %. Aux États-Unis, elle est de 17,2 %.

Or, même à ce taux, les changements de culture sont lents à se réaliser. « Une meilleure représentation des femmes au sein des forces armées va apporter des changements de culture, estime Stéfanie von Hlatky. Mais pour cela, elles doivent avoir une certaine masse critique. Avec une représentation de 5 %, 8 % ou même 15 %, on ne peut pas s’attendre à ce que la culture change du jour au lendemain. Il va falloir faire preuve de leadership, politique et militaire. »

En savoir plus
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    En jours, durée minimale du service obligatoire dans l’armée suisse pour les militaires de la troupe. Selon la fonction, cette durée minimale peut aller jusqu’à 865 jours (sergents-chefs parachutistes).
    Source : Obligation de servir, département de la défense de la Suisse