La visite du chancelier allemand Olaf Scholz au Canada « arrive à point nommé », selon l’ancienne diplomate canadienne Marie Gervais-Vidricaire, qui a été ambassadrice du Canada en Allemagne de 2013 à 2017.

Elle y voit de bonnes choses pour les deux pays qui entretiennent « une relation amicale », ont « plusieurs choses en commun », voient le « monde de la même façon » et « croient au multilatéralisme ».

C’est d’autant plus intéressant que les visites officielles de chanceliers allemands au pays sont rares, si ce n’est lorsque le Canada est l’hôte d’un sommet du G7.

Le chancelier Olaf Scholz en a plein les bras en Allemagne avec son gouvernement de coalition. Qu’il prenne le temps de venir quelques jours au Canada est très positif. Cela indique aussi que les Allemands, je pense, vont de désillusion en désillusion depuis quelques années.

Marie Gervais-Vidricaire, ancienne ambassadrice du Canada à Berlin

Désillusion, entre autres, face à l’allié américain qui — sous la présidence de Donald Trump — a été un dur partenaire de travail.

« Les Allemands n’avaient jamais pensé qu’une telle situation pouvait se produire aux États-Unis, poursuit l’ancienne diplomate. Nous non plus, d’ailleurs ! Mais pour les Allemands, ç’a été un wake up call. Ils comptaient sur les Américains pour leur défense comme pour assumer la majorité des dépenses de l’OTAN. Ils ont été pris un peu au dépourvu face à un président Trump très difficile et ont réalisé qu’ils étaient beaucoup trop dépendants des États-Unis. »

Dans ce contexte, le Canada semble devenu un allié « plus intéressant qu’il ne le paraissait il y a quelques années », même s’il ne remplacera jamais les États-Unis.

PHOTO KAY NIETFELD, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Olaf Scholz, chancelier de l’Allemagne

Exemple illustrant ce changement d’attitude, l’Allemagne a mis du temps, au milieu des années 2010, à donner son aval à un accord de libre-échange Canada–Union européenne.

« À l’époque, les Allemands nous amalgamaient avec les Américains, poursuit Mme Gervais-Vidricaire. La population manifestait contre des accords de libre-échange avec le Canada et les États-Unis en disant que c’était la même chose. Il a fallu l’intervention politique de Chrystia Freeland, alors ministre du Commerce international, à un point critique des discussions pour que l’Allemagne donne son accord. »

Hydrogène : attention !

Or, cette visite, rappelons-le, survient alors que l’Allemagne s’attend à vivre un hiver dur, en raison notamment de sa dépendance au gaz naturel russe pour le chauffage des maisons. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Russie menace de réduire — voire de cesser — son approvisionnement en gaz à l’Allemagne, qui doit trouver des solutions énergétiques, non seulement à court terme, mais aussi à long terme.

Vendredi, le premier ministre Justin Trudeau a indiqué qu’un partenariat à venir avec l’Allemagne contribuerait, à long terme, à faire du Canada un chef de file de l’approvisionnement mondial en énergie verte. Un responsable gouvernemental qui a requis l’anonymat a même confirmé qu’un accord sur l’hydrogène serait signé, point culminant de mois de pourparlers entre les deux pays.

Or, dans ce domaine, il faudra se montrer très vigilant, estime Caroline Brouillette, directrice des politiques nationales du Réseau Action Climat.

Au cours de l’été, le ministre canadien [des Ressources naturelles], Jonathan Wilkinson, a eu des discussions avec les Allemands sur des projets de gaz naturel liquéfié [GNL] sur la côte Est. Nos inquiétudes sont à ce niveau-là.

Caroline Brouillette, directrice des politiques nationales du Réseau Action Climat

Mme Brouillette estime que le discours du Canada « tente de flouter » les différentes catégories d’hydrogène, vecteur énergétique à la mode, sous l’emballage d’une énergie propre alors qu’il y a des différences de l’une à l’autre. Ainsi, l’hydrogène bleu, fait à partir d’énergies fossiles, dont le gaz naturel, est moins propre que l’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau.

« Oui, on s’inquiète pour l’Allemagne, dit Mme Brouillette, mais on constate aussi que l’Europe vit un été de canicules et d’incendies de forêt. On ne peut plus regarder les crises une à la fois. Il faut que le Canada et l’Allemagne coopèrent sur des sources d’énergie plus fiables sans flouter les catégories d’hydrogène ni instrumentaliser la question des énergies dans un contexte géopolitique. »

Questionné sur ces inquiétudes, Keean Nembhard, attaché de presse du ministre Jonathan Wilkinson, nous a écrit : « Le Canada continuera d’évaluer ce qu’il peut faire de plus pour aider nos partenaires européens, y compris l’Allemagne, dans leur crise énergétique. Mais nous le ferons de manière à tenir compte des émissions nationales et à les réduire au minimum, tout en veillant à ce que les émissions qui en résultent soient conformes au plan climatique du Canada. »

Avec La Presse Canadienne

PHOTO LUKAS BARTH, ARCHIVES REUTERS

L’hôtel de ville d’Augsbourg, dans le sud de l’Allemagne, n’est pas éclairé, afin d’économiser l’énergie.

Ce qui attend les Allemands…

  • Factures de chauffage et d’électricité en forte hausse (estimation de 600 euros pour une famille avec deux enfants et une consommation moyenne de 20 000 kWh)
  • Baisse du chauffage à 19 °C dans les bâtiments publics, sauf les hôpitaux et les institutions sociales
  • Fin de l’éclairage nocturne des bâtiments et monuments historiques
  • Campagne de sensibilisation pour inciter les entreprises privées à baisser la climatisation
  • Campagne de sensibilisation pour inciter la population à privilégier les transports en commun et à se procurer des pommes de douche écoénergétiques
  • Diminution de la température de l’eau des piscines (déjà en vigueur)
  • À l’étude : prolongation du billet à 9 euros par mois pour voyager dans les transports en commun
  • Aide gouvernementale aux particuliers pour affronter la hausse des prix, dont une baisse de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) de 19 % à 7 % jusqu’à fin mars 2024

André Duchesne, La Presse, avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press