Quand il s’est réveillé, le 24 février dernier, le documentariste Simon Lereng Wilmont a immédiatement eu une pensée pour la famille ukrainienne qu’il avait suivie pendant un an, en 2016, à Hnutove, un village qui était alors situé sur une ligne de front du Donbass.

Dans les semaines précédant la récente invasion russe, la situation était devenue extrêmement tendue dans ce hameau de la province ukrainienne de Donetsk.

Simon Lereng Wilmont avait fini par persuader l’une des protagonistes de son documentaire The Distant Barking of Dogs, Alexandra Ryabichkina, de fuir le village, elle qui s’était jusqu’alors accrochée à sa maison, malgré les bombes.

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Oleg n’avait que 10 ans quand le documentariste Simon Lereng Wilmont s’est intéressé à son histoire.

Le réalisateur avait fait réserver des billets de train pour Alexandra et son petit-fils Oleg, question de les mettre à l’abri. Manque de pot, leur train en direction de l’ouest de l’Ukraine devait partir le 24 février… en après-midi.

Ce matin-là, au réveil, le documentariste danois s’est donc d’abord réjoui à l’idée qu’Alexandra et son petit-fils Oleg allaient bientôt se retrouver en sécurité, après avoir vécu huit ans en zone de guerre. Puis il a consulté ses courriels. « C’est l’enfer ici, priez pour nous », le suppliait Alexandra Ryabichkina.

À l’aube, ce jour-là, Vladimir Poutine a lancé ses troupes à l’assaut de l’Ukraine. Et Hnutove se retrouvait plus que jamais au cœur de la bataille.

Perte de contact

« Nous avons ensuite perdu contact avec la famille pendant quelques jours », raconte Simon Lereng Wilmont, dont le documentaire sera projeté à Montréal le 11 juillet dans le cadre du festival Sous les étoiles.

Le cinéaste était mort d’inquiétude pour cette grand-mère et son petit-fils, qu’il avait suivis alors que ce dernier n’avait que 10 ans. Dans son film, plusieurs fois primé, on voit Oleg, qui habite seul avec sa grand-mère, essayer de vivre une enfance à peu près normale alors que la guerre du Donbass s’éternise.

Quelques jours après le déclenchement de l’invasion du 24 février dernier, Alexandra a finalement donné signe de vie : elle avait réussi à quitter Hnutove pour une grande ville où, croyait-elle, elle se trouverait à l’abri.

Manque de pot, encore. Cette ville, c’était… Marioupol, ville martyre qui allait être réduite en ruines par l’armée russe.

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Simon Lereng Wilmont, réalisateur du documentaire The Distant Barking of Dogs

Nous avons ensuite perdu contact pendant une longue période et nous appréhendions le pire.

Simon Lereng Wilmont

Mais c’était sans compter avec la débrouillardise de cette grand-mère hors du commun. Alexandra et Oleg sont parvenus à se glisser derrière les lignes de l’armée russe qui assiégeait Marioupol. Ils sont retournés à Hnutove pour découvrir que leur village était désormais occupé par la Russie, comme une grande partie du Donbass. Et que leur maison servait de base à des soldats russes.

Nouvelle opération de sauvetage, réussie cette fois. Oleg, sa grand-mère, sa tante Alyona et son cousin Yarik vivent aujourd’hui dans une ville près de Kyiv. Oleg, devenu un adolescent de 16 ans, vient de terminer l’année scolaire.

Et paradoxalement, pour la première fois depuis le début de la guerre du Donbass, lui et ses proches vivent sans avoir peur.

« La chose la plus incroyable qu’ils m’ont dite, c’est que pour la première fois depuis 2015, ils réussissent à dormir la nuit », confie le réalisateur, joint au Danemark.

Une enfance sur la ligne de front

The Distant Barking of Dogs suit Oleg et sa grand-mère alors qu’ils tentent de composer avec les défis d’un conflit de basse intensité, mais néanmoins meurtrier, dans un village déserté par les trois quarts de ses habitants.

On voit Oleg se réfugier alors qu’un feu nourri embrase l’horizon ou porter de la soupe à sa grand-mère lorsque celle-ci tombe malade.

On le voit évaluer le danger d’une potentielle baignade, expliquer la guerre à son cousin plus jeune que lui. On le voit rire et jouer. Et aussi, parfois, avouer qu’il a peur.

Ce qui a fasciné Simon Lereng Wilmont durant le tournage qui s’est étendu sur plus d’un an, c’est de voir comment les enfants réussissent à s’adapter à la guerre et à préserver la magie de l’enfance, malgré tout.

« C’est une des plus belles choses que j’ai apprises en faisant ce film », confie-t-il.

Comme tous ses amis ukrainiens, il n’avait jamais imaginé que cette guerre à petit feu allait exploser en un conflit à grande échelle. « Personne n’imaginait que Poutine voudrait envahir toute l’Ukraine. »

Si Oleg semble avoir émergé à peu près intact de ces huit années de conflit, c’est beaucoup grâce à sa grand-mère, souligne le cinéaste. « Alexandra était très honnête avec lui et elle ne montrait aucun signe de perte de contrôle. »

Le film n’a rien perdu de sa pertinence alors que, selon l’UNICEF, l’invasion du 24 février a forcé les deux tiers des enfants ukrainiens à quitter leur maison, que 2,2 millions ont dû fuir à l’étranger, qu’au moins 260 ont été tués et que plus de 5 millions ont besoin d’aide humanitaire.

The Distant Barking of Dogs

Documentaire

The Distant Barking of Dogs

Simon Lereng Wilmont

Projection au festival Sous les étoiles
Lundi 11 juillet, 21 h

Parc Dante, Montréal