(Paris) Des cris, des tirs de mitraillette, du sang, des cadavres partout… Les images et de nouveaux extraits sonores du massacre au Bataclan ont ému vendredi, au procès des attentats du 13-Novembre à Paris, après une semaine marquée par la déposition frustrante de l’accusé numéro 1, Salah Abdeslam.

C’est probablement l’une des séquences les plus éprouvantes des audiences commencées en septembre, si l’on exclut les témoignages bouleversants des survivants et un petit extrait sonore diffusé à l’automne.

Pendant six longues minutes, on fait jouer l’enregistrement de l’attaque au Bataclan, capté le soir du drame par un dictaphone resté allumé pendant le massacre.

On entend des rafales de kalachnikov, des tirs isolés, des hurlements de peur, de douleur, de panique. À glacer le sang.

La Cour a décidé de jouer la pudeur pour cette séquence, par égard pour les victimes et leurs proches. Le volume a été baissé, pour en réduire l’impact. Mais on peut quand même entendre le son du chaos et de la mort.

Idem pour les images, triées avec soin, et un peu noircies pour assombrir les détails.

Les photos, prises par l’équipe d’intervention, n’en sont pas moins choquantes. Des traînées de sang, des corps empilés près du bar, sur la mezzanine et surtout dans la fosse, rassemblés par grappes, comme si ces gens n’avaient pas voulu mourir seuls.

Certaines personnes ont choisi de sortir de la salle avant la diffusion. D’autres se liquéfient tout de suite après, fondant en larmes dans les bras d’une connaissance ou de leur avocat.

« Ces images sont hyper violentes, mais elles sont vraies, c’est la réalité de ce qu’on a vécu », confie Marie, survivante, les yeux encore humides.

Pour Thierry Maillet, autre rescapé du Bataclan, c’est plutôt le son qui dérange.

Ce qu’on entend, c’est qu’on ne pouvait pas échapper à tous ces tirs. Il y a les rafales, puis les coup par coup, où on comprend bien qu’ils sont en train d’achever le travail.

Thierry Maillet, rescapé du Bataclan

Ce fan de rock, qui porte fièrement un t-shirt de Kiss, admet qu’il va moins bien dormir pendant la fin de semaine, déjà qu’il est devenu insomniaque. Mais il ne regrette surtout pas d’être venu.

« C’était important. Pour me remémorer », avance-t-il.

Le poids des diffusions

Montrer ou pas ? C’est la grande question qui se pose depuis le début de ce procès historique, qui en était vendredi à son 104jour.

Jusqu’ici, les sources sonores et visuelles avaient été prudemment mises de côté, à quelques exceptions près. Mais à la demande d’une association de victimes, on a fini par montrer l’indicible.

PHOTO CHRISTIAN HARTMANN, ARCHIVES REUTERS

Déploiement policier près du Bataclan, à Paris, après l’attaque mortelle du 13 novembre 2015 

Cette décision a divisé les parties civiles. Certains ont soutenu que ces images ne nous apprendraient rien. On a exprimé la crainte des fuites sur l’internet. On a eu peur que cette « épreuve dans l’épreuve » ne réactive les traumatismes.

« Est-ce que ça va foutre en l’air six ans de reconstruction ? Je mesure mal le risque », confie J.-C., autre miraculé du Bataclan, qui préfère taire son nom de famille. « Je comprends que ce soit assez bouleversant. Mais en même temps, on n’est pas obligé de regarder. »

Pour la plupart, en revanche, ces diffusions font partie intégrante du processus de réparation.

« On a tous une perception différente de ce qui s’est passé ce soir-là. Pour beaucoup d’entre nous, se confronter à la réalité de la chose permet de remettre les pièces du puzzle ensemble », confie Olivier Laplaud, vice-président de l’association de victimes Life for Paris, qui était aussi au Bataclan le soir du 13 novembre.

Enfin, comment imaginer un procès d’assises sans voir la scène du crime ? Cette audience n’est certes pas comme les autres. Mais on ne peut pas faire l’économie de ce « fragment de réel » même si c’est « totalement douloureux, affreux, morbide », plaident les avocats des parties civiles. Il faut montrer. Non seulement pour les survivants et les proches de victimes, mais aussi pour que les 14 accusés, présents dans le box, soient confrontés à l’horreur de leur crime.

Bémol, toutefois, chez Olivier Laplaud, qui regrette de ne pas avoir vu ces documents plus tôt. Il aimerait aussi avoir accès aux deux heures et demie d’enregistrement et pas seulement aux six petites minutes sélectionnées par la Cour. « Je suis resté sur ma faim », confie-t-il.

Le droit au silence

Cette séquence vient clore une semaine particulièrement attendue, alors que les accusés étaient pour la première fois interrogés sur les jours précédant la nuit du 13 novembre.

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Croquis d’audience représentant MClaire Josserand-Schmidt, avocate des parties civiles, face à Salah Abdeslam, accusé numéro 1 dans le procès des attentats du 13-Novembre à Paris, mercredi

Salah Abdeslam, le premier, a attiré une foule particulièrement nombreuse mercredi, venue voir « l’ennemi numéro 1 de la France ». Mais les réponses du seul survivant des commandos de la mort, dont la ceinture d’explosifs n’a pas explosé ce soir-là, ne vont être satisfaisantes qu’à moitié.

Le Français de 32 ans refuse d’abord de répondre aux questions, ce qui provoque la colère de l’avocat général, Nicolas Le Bris. « On a la confirmation avec vous, M. Abdeslam, que la lâcheté est bien la marque de fabrique des terroristes », lui lance l’avocat, en l’accusant de se prendre « pour une vedette ».

Il faudra attendre l’intervention, plus bienveillante, d’une avocate des parties civiles, MClaire Josserand-Schmidt, pour qu’il sorte brièvement de son mutisme. Abdeslam confirme alors qu’il a renoncé à se faire exploser : « Pas par lâcheté, pas par peur, mais parce que je ne voulais pas, c’est tout. »

Pourquoi alors a-t-il dit à ses proches, « ses frères », que sa ceinture n’avait pas fonctionné ? « Parce que j’avais honte de ne pas avoir été jusqu’au bout, répond-il. J’avais peur du regard des autres. J’avais 25 ans aussi… », dit-il, avant de se murer à nouveau dans le silence.

Salah Abdeslam est le quatrième accusé à faire usage de son droit au silence depuis que le procès est entré dans la phase des interrogatoires. Avant lui, Mohamed Bakkali, Sofien Ayari et Osama Krayem (qui refuse depuis des mois de comparaître) ont déjà annoncé qu’ils ne répondraient plus aux questions.

Pour les proches de victimes ou les survivants des attentats, venus chercher une parcelle d’explications aux audiences, ce mutisme est dérangeant.

« Ce n’est pas toujours très satisfaisant », renchérit George Salines, dont la fille, Lola, ancienne employée des Éditions de l’Homme à Montréal, est morte au Bataclan ce soir-là. « Je le regrette, je leur en fais le reproche dans un sens, parce que je pense qu’ils nous le doivent un peu. Mais je n’avais pas beaucoup d’attentes. »

Pour l’avocat Jean-Marc Delas, qui représente pas moins de 50 parties civiles, cette revendication du « droit au silence » participe d’un « choix de défense ».

« Se taire est parfois moins risqué que de parler », dit-il.

En saura-t-on davantage ? Le plus grand procès de l’histoire récente en France entame sa dernière ligne droite la semaine prochaine. Après les plaidoiries en mai, le verdict doit être rendu fin juin… si la COVID-19, qui remonte aussi en France, ne vient pas contrarier le calendrier.