Menacé par une opposition plus unie que jamais, le premier ministre de la Hongrie, Viktor Orbán, a vu le vent tourner en sa faveur depuis que la Russie a envahi l’Ukraine. Tout n’est pas joué, mais il a de bonnes chances de remporter un quatrième mandat consécutif aux législatives du 3 avril prochain.

Un vote à l’ombre de l’invasion de l’Ukraine

PHOTO BERNADETT SZABO, REUTERS

Des réfugiés ukrainiens fuyant l’invasion russe arrivent à la gare de Zahony, en Hongrie, le 3 mars 2022.

« J’ai dans l’idée que nous allons continuer à collaborer encore longtemps. » C’est par cette boutade amicale tablant sur leur longévité politique commune que le premier ministre hongrois Victor Orbán a conclu sa récente rencontre avec le président russe Vladimir Poutine.

C’était le 1er février, à Moscou. Les nuages sombres de la guerre s’amoncelaient déjà à l’horizon.

Mais selon ce qui a émané de leurs discussions, les deux dirigeants ne se sont pas attardés sur le conflit imminent. Ils ont plutôt évoqué le projet d’agrandissement de la centrale nucléaire hongroise Paks qui sera financé grâce à un prêt russe de 20 milliards de dollars — et qui est décrit comme le plus grand projet énergétique jamais réalisé en Hongrie.

Ils ont aussi parlé du milliard de mètres cubes de gaz supplémentaires que la Hongrie souhaite acheter à la Russie. Et de l’astronaute hongrois que la Russie compte inviter à bord de la station spatiale… en 2025.

C’était la 12e visite de Victor Orbán à Moscou en 13 ans. Les deux dirigeants qui ont pris l’habitude de se tutoyer au fil des ans ont affiché, une fois de plus, leur amitié. Répondant aux critiques, Viktor Orbán est allé jusqu’à prétendre qu’il venait de réaliser une « mission de paix » auprès du maître du Kremlin.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA

Vladimir Poutine et Viktor Orbán, en 2017

Trois semaines et deux jours plus tard, Vladimir Poutine lançait les chars et l’aviation russe contre l’Ukraine.

À l’approche des législatives du 3 avril au cours desquelles Viktor Orbán brigue un quatrième mandat consécutif, son généreux ami aurait pu devenir politiquement encombrant. Voisine de l’Ukraine, la Hongrie a dû accueillir des centaines de milliers de réfugiés depuis un mois.

Face à une opposition qui, pour la première fois, a formé un bloc uni pour lui faire face, Fidesz, le parti de Viktor Orbán, semblait traîner la patte.

Au cours de l’automne, il a même été devancé par la coalition de six partis menée par le maire d’une petite bourgade hongroise, Peter Marki-Zay — du jamais-vu depuis qu’Orbán a pris le pouvoir qu’il exerce sans interruption depuis 12 ans.

Mais depuis que les bombes pleuvent sur l’Ukraine, le dirigeant conservateur et nationaliste a plutôt repris du poil de la bête. Et l’avance que lui accordent les sondages lui permet d’espérer remporter le vote du 3 avril.

Comment expliquer ce revirement ?

« Le soufflé était déjà retombé un peu au début de l’hiver », nuance Corentin Léotard, rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale et coordonnateur du livre La Hongrie sous Orbán, un essai cosigné par six correspondants internationaux établis à Budapest.

Il faut dire que la coalition née du mariage de partis aux orientations opposées, allant de l’extrême droite à la gauche, après avoir insufflé un vent d’énergie dans le paysage politique hongrois, a eu du mal à décoller. « Ils ont passé beaucoup de temps à critiquer Viktor Orbán, moins à expliquer leur programme », dit Corentin Léotard.

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La Hongrie sous Orbán, sous la direction de Corentin Léotard

Puis Viktor Orbán, ce « fin animal politique », a réussi à se repositionner depuis le fatidique 24 février, jour du déclenchement de l’offensive russe.

« Par son habileté, mais aussi par sa puissance médiatique, il a réussi à faire oublier sa proximité avec Poutine et à se présenter comme un défenseur du peuple qui empêchera que la Hongrie ne soit entraînée dans la guerre. »

D’un côté, il y a l’opposition qui montre Viktor Orbán du doigt en disant : « Regardez qui sont ses amis », observe Marta Pardavi, coprésidente du Comité Helsinki, une ONG de défense des droits de la personne.

Mais les Hongrois sont anxieux depuis le début de la guerre qui s’abat sur leur voisin. « Et Orbán leur dit qu’il ne laissera pas leur pays se faire entraîner dans ce conflit. »

« Le conflit armé en Ukraine domine le discours public en Hongrie », résume l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans un rapport publié cette semaine.

Il aurait été « raisonnable » d’imaginer que son alliance avec Vladimir Poutine serait problématique pour Viktor Orbán, souligne Zoltan Miklosi, politologue à l’Université d’Europe centrale, établissement chassé de Budapest par le régime Orbán.

« Mais les gens ne réagissent pas rationnellement, pour la plupart, la guerre crée de l’incertitude, ce n’est pas le moment d’aller vers l’inconnu. »

Iniquité électorale

Il faut dire que Viktor Orbán et son parti bénéficient aussi de règles électorales et d’un environnement médiatique qui jouent en leur faveur.

La mission d’observation d’une ampleur sans précédent que l’OSCE compte déployer pour surveiller le vote du 3 avril est déjà un symbole fort, montrant à quel point la démocratie hongroise est défaillante, signale Marta Pardavi.

La télévision publique, contrôlée par l’État, a accordé tout juste cinq minutes au candidat de l’opposition pour s’adresser aux électeurs. Peter Marki-Zay en a passé quatre à démonter les mensonges que le régime propage à son sujet et une seule à expliquer son programme, constate Corentin Léotard.

PHOTO MARTON MONUS, REUTERS

Des manifestants dénoncent le premier ministre Orbán et le président Poutine lors d’une manifestation suivant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, devant les bureaux de la chaîne de télévision nationale, à Budapest, le 6 mars dernier.

« Vous avez le choix entre l’Est et l’Ouest », a-t-il alors clamé. Face à un Orbán longtemps aligné sur Poutine et en conflit avec Bruxelles, Peter Marki-Zay propose de faire entrer la Hongrie dans la zone euro, d’adhérer au parquet européen anticorruption et de renouer les liens européens amochés par les politiques « illibérales » de Fidesz.

Mais ces mêmes réformes « illibérales » permettent justement à Viktor Orbán de dominer l’espace public. Au fil des derniers mois, il a littéralement arrosé les électeurs de cadeaux : crédits fiscaux, hausses des prestations de retraite et du salaire minimum, signale Zoltan Miklosi. Parallèlement, il accuse son adversaire de vouloir piger dans les poches des contribuables en réduisant leurs avantages sociaux. Faux, rétorque Peter Marki-Zay. Mais ce message n’est pas répercuté par les grands médias alors que le discours pro-Orbán est omniprésent.

Fil ténu

Sur la guerre en Ukraine, le premier ministre Orbán marche sur un fil ténu. Les médias de masse ne cachent pas les massacres. L’opinion publique hongroise se méfie de Moscou et se souvient de 1956, année où les troupes du Pacte de Varsovie ont écrasé l’insurrection de Budapest.

Mais en même temps, dans son discours, le régime Orbán évite de distribuer les fautes.

[Le régime Orbán] fait tout ce qui est possible pour ne pas nommer le pays agresseur et le pays agressé, ils sont présentés comme deux belligérants qu’on renvoie dos à dos.

Corentin Léonard, rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale

Face à une guerre incompréhensible, les Hongrois ne souhaitent qu’une chose : rester à l’extérieur du conflit. Ce que leur promet Viktor Orbán, qui a ouvert les portes du pays aux réfugiés ukrainiens, mais s’oppose à de nouvelles sanctions contre la Russie et refuse que des armes livrées aux Ukrainiens transitent par la Hongrie.

Tout n’est pas joué, mais cette position d’équilibriste pourrait lui assurer quatre nouvelles années de règne.

Peter Marki-Zay, le candidat improbable

PHOTO PETER KOHALMI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Peter Marki-Zay, leader de la coalition de six partis s’opposant au régime de Viktor Orbán, lors d’un rassemblement à Budapest le 15 mars.

Quand il a remporté, en octobre, les primaires de la coalition de l’opposition en vue des législatives hongroises du 3 avril, Peter Marki-Zay a été le premier à se montrer surpris du résultat du vote.

La coalition, surnommée « La Hongrie de tous », est elle-même atypique : elle rallie six partis, de l’extrême droite à la gauche, réunis au sein d’un seul projet, celui de mettre fin au règne de l’ultraconservateur et nationaliste Viktor Orbán.

À 49 ans, Peter Marki-Zay n’est affilié à aucun de ces partis. Relativement nouveau venu en politique, il s’est fait connaître aux élections municipales de 2018, alors qu’il a défait le candidat du pouvoir dans la bourgade provinciale de Hodmezovasarhely.

Loin des élites urbaines qui dominent le courant d’opposition à Viktor Orbán, celui que l’on désigne par ses initiales, PMZ, est plutôt un conservateur social, catholique pratiquant et père de sept enfants. Mais c’est peut-être aussi là que réside sa force.

Quel avenir pour Marki-Zay ?

En Hongrie, un tiers de l’électorat est acquis à Viktor Orbán, un tiers soutient l’opposition et un tiers flotte entre les deux ou s’abstient de voter, soulignent les analystes.

« Il faut se rendre à l’évidence, la société hongroise est majoritairement à droite et conservatrice », constate Corentin Léotard, journaliste établi à Budapest. Avec son pedigree rassurant, Peter Marki-Zay est bien placé pour rallier les abstentionnistes et les indécis. Et pour faire le pont entre la capitale et le reste du pays.

Mais Peter Marki-Zay fait aussi face à quelques défis. « Il n’est pas très charismatique, il contrôle mal sa parole et a tendance à mettre mal à l’aise ses alliés de gauche », dit Corentin Léotard.

Ces derniers iront voter pour lui « en se bouchant le nez », mais même en cas de victoire, laquelle paraît aujourd’hui improbable, ils risqueraient de le déposer rapidement.

Or, son indépendance politique pourrait alors se retourner contre PMZ : sans parti politique autre qu’une coalition fragile, il risque de tomber rapidement dans les oubliettes de l’histoire.