On a longtemps cru qu’elle succéderait à sa tante à la tête du Rassemblement national. Mais Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen et vedette montante de la droite réactionnaire, a plutôt choisi de rallier le camp rival d’Éric Zemmour. Ce soutien de poids, annoncé dimanche officiellement, permettra-t-il au candidat anti-immigration de remonter dans les sondages ? Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite en France, n’y croit pas trop. Entrevue.

Marion Maréchal, c’est une prise de choix pour Éric Zemmour ?

Oui, mais ce n’est pas véritablement une surprise. Ça faisait quand même un certain temps qu’on s’attendait à ce qu’elle franchisse le pas. Ça ne va pas faire basculer quoi que ce soit pour la présidentielle et je ne suis pas persuadé qu’elle permette à Zemmour de repasser devant Marine Le Pen. Mais elle arrive avec plusieurs de ses proches et cela lui profitera pour les législatives en juin. Ce sont des gens qui ont déjà fait de la politique au Rassemblement national, qui vont apporter leur expérience et, pour certains, leur capital électoral. C’est ça, le vrai enjeu.

Qu’est-ce qui attire Marion Maréchal chez Zemmour qu’elle ne trouvait pas avec Marine Le Pen au Rassemblement national ?

Une question de sensibilité, de valeurs. Marion est plus catholique que sa tante. Plus conservatrice, plus valeurs traditionnelles, plus libérale en matière économique. Elle est plus à son aise avec le public bourgeois des meetings de Zemmour qu’avec le public populaire que Marine rencontre dans les marchés.

PHOTO EMMANUEL DUNAND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle française

Pouvait-on imaginer, néanmoins, qu’un membre de la famille Le Pen se retrouverait ailleurs qu’au Rassemblement national ?

Elle suit sa propre voie. Dès qu’elle a été élue à l’Assemblée nationale, elle a montré qu’elle avait une vraie différence idéologique avec sa tante. Je pense que le Rassemblement est allé trop loin dans les changements politiques pour que ce soit une formation qui convienne à Marion Maréchal. Elle a un autre espace à prendre, quelque part entre l’aile droite du parti Les Républicains et le Rassemblement national. Et ça, c’est Éric Zemmour qui l’incarne aujourd’hui.

Son ralliement à Éric Zemmour est quand même un coup dur pour le Rassemblement puisque beaucoup l’imaginaient un jour succéder à sa tante. Avec Marine Le Pen qui perd son héritière naturelle, est-ce le début de la fin pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen ?

Non, je ne pense pas. Ce qu’il y a d’extraordinaire avec Marine Le Pen, c’est qu’elle a réussi à garder son noyau dur d’électeurs. Elle se maintient toujours entre 17 et 18 % dans les sondages. C’est assez compliqué à expliquer. La crise ukrainienne aurait dû la faire dégringoler [en raison de ses anciennes positions pro-Poutine]. La concurrence de Zemmour aussi. Elle ne fait pas une campagne si extraordinaire. C’est une campagne de petits meetings, de petites rencontres avec la France d’en bas. Et pourtant, ça tient. Elle conserve son électorat populaire. Elle conserve son avance sur Éric Zemmour et pour l’instant, elle se qualifie pour le second tour. À mon avis, le RN va rester pendant longtemps un parti important dans la vie politique française. Il est handicapé par le fait qu’il n’a aucune possibilité de trouver des alliances à droite, mais ce n’est pas non plus une force que les autres partis politiques ont réussi à résorber.

Zemmour était aussi un admirateur de Poutine. Mais il en pâtit plus que Marine Le Pen, si on en juge par sa baisse marquée dans les intentions de vote. Pourquoi, selon vous ?

Parce que, contrairement à Marine Le Pen, qui a très vite condamné l’agression et dit qu’il fallait recevoir les réfugiés ukrainiens, Éric Zemmour s’est lancé dans une grande digression pour expliquer qu’il fallait comprendre le point de vue russe. Il a eu une position qui n’était pas celle d’un politique, mais d’un essayiste. À partir du moment où il y a un acte de guerre, cette position n’est plus tenable. Il faut faire volte-face et Marine Le Pen l’a bien fait. Zemmour, non. Il a mis huit jours à changer d’avis. Son décrochage date de là.

Marion Maréchal a choisi un drôle de moment pour se rallier à lui…

C’est un pari risqué, il faut le reconnaître.

Selon vous, quel avenir y a-t-il pour Éric Zemmour s’il échoue à la présidentielle ?

Moi, je pense que son ambition véritable n’était pas d’être président de la République. C’était d’imposer un certain nombre de thèmes qui font éclater la droite. Des thèmes comme le grand remplacement, l’immigration, le choc des civilisations, qui étaient auparavant réservés à l’extrémité du spectre politique. Il peut profiter de cet éclatement pour faire la jonction avec Les Républicains (LR). Si Valérie Pécresse [candidate LR] manque cette présidentielle, ceux de son parti qui ont fait campagne contre elle pendant la primaire diront que c’est le moment de filer chez Zemmour et de faire un gros parti à droite. À mon avis, c’est dans ce cadre-là que Marion Maréchal entend agir. Zemmour a 63 ans. Elle en a tout juste 30. Elle a tout le temps devant elle…

Zemmour accusé de violences sexuelles par huit femmes

Une autre tuile s’abat sur la tête de Zemmour. Critiqué pour ses réactions ambiguës à la suite de l’invasion russe en Ukraine, le candidat est maintenant accusé de violences sexuelles. Le site d’enquête Mediapart a publié une vidéo mardi dans laquelle huit femmes prennent la parole. Elles l’accusent d’avoir eu des comportements inappropriés ou de les avoir agressées sexuellement, pour des faits survenus entre 1999 et 2009. Six d’entre elles s’étaient déjà manifestées en 2021. Deux victimes se sont ajoutées au groupe. Éric Zemmour a accusé Mediapart de vouloir faire « un coup » le jour de la Journée des droits des femmes et de recycler du vieux matériel. « Minable, à cinq semaines du premier tour », a-t-il ajouté.