À la frontière entre la Pologne, la République tchèque et l’Allemagne, la mine de charbon de Turów crée des tensions entre voisins et illustre le dilemme entre la protection de l’environnement et les impacts sociaux de l’éventuelle fermeture.

(Bogatynia, Pologne, et Uhelná, République tchèque) Dans le sud-ouest de la Pologne, sur un petit bout de territoire enclavé entre la République tchèque et l’Allemagne, l’énorme mine à ciel ouvert de Turów (qui alimente la centrale électrique attenante) est au cœur d’un conflit diplomatique. En plus de la pollution causée par la mine de lignite et la centrale, les habitants tchèques accusent l’exploitation de siphonner leurs réserves d’eau potable.

À la suite d’une plainte du gouvernement tchèque, la Cour de justice de l’Union européenne a ordonné l’arrêt temporaire des opérations minières en mai dernier, mais le gouvernement polonais refuse d’obtempérer. Même l’amende quotidienne d’un demi-million d’euros (720 000 $  CAN) infligée depuis fin septembre ne l’a pas fait bouger.

Selon Varsovie, cette mesure mettrait en danger la sécurité énergétique du pays, puisque la centrale de Turów dépend de la mine et fournit quelque 5 % de l’électricité du pays. De plus, la fermeture jetterait des milliers de travailleurs à la rue.

« La folie du Pacte vert européen »

Dans son bureau, le vice-président du syndicat Solidarność de la mine, Marek Dołkowski, reçoit La Presse et tonne contre ce qu’il appelle « la folie du Pacte vert européen ». Il accuse la justice européenne d’être indifférente au sort des habitants du coin. « Pour eux, ce serait l’extermination de perdre leur emploi, il n’y a rien d’autre dans la région, » raconte-t-il.

M. Dołkowski explique pourquoi il y a des tensions entre les deux côtés depuis la décision de la Cour : travailler à la mine, « c’était un emploi calme, stable, et c’est pour ça qu’il y a maintenant une certaine haine envers les Tchèques ». En mai, des manifestants polonais ont bloqué la route transfrontalière et certains commerces avertissaient qu’ils ne serviraient plus les clients tchèques.

Comme le précise Wojciech Dobrołowicz, maire de la ville de Bogatynia qui jouxte la mine, toute la région vit du charbon. L’entreprise énergétique PGE, contrôlée par l’État polonais, exploite la mine et emploie quelque 3600 travailleurs sur place. « Chaque emploi dans l’énergie crée quatre autres postes dans les industries connexes et dans l’économie locale », explique-t-il à La Presse.

Pour lui, la décision de la justice européenne est une attaque contre la ville : « Cela nous condamne à la destruction, à la mort. » Citant les graves problèmes sociaux qui existent déjà, il prévoit une aggravation si la mine ferme.

Les gens les plus débrouillards partiront, les autres tomberont encore plus bas, et la région va dépérir.

Wojciech Dobrołowicz, maire de la ville de Bogatynia

À ses dires, la mine devrait être en activité jusqu’en 2044 et la transition écologique, se faire à petits pas.

Précisant que l’arrêt préliminaire de la Cour ne se base que sur des questions procédurales, puisque la Pologne n’aurait pas procédé aux études d’impact environnemental nécessaires avant de prolonger le permis de la mine, il met en doute les plaintes tchèques au sujet de l’eau. Selon lui, « il ne s’agit pas de l’eau, mais il s’agit plutôt d’une tentative d’exploiter le conflit pour se faire construire des infrastructures aux frais des Polonais ».

Baisse de la nappe phréatique

« Il me semble qu’ils prennent les gens pour des idiots », rétorque Daniel Gabryš de l’autre côté de la frontière, sur la colline où est perché son village d’Uhelná. De son jardin d’où l’on voit la mine et la centrale, l’entrepreneur dans la quarantaine raconte les problèmes liés à l’exploitation minière, dont le principal est l’utilisation de l’eau. « Tous les jours, la mine doit pomper d’énormes quantités d’eau et elle est presque entourée par deux pays, donc d’où vient l’eau ? », demande-t-il.

Depuis des années, les habitants voient leurs puits s’assécher, un phénomène aggravé par plusieurs étés très secs. Selon le Service géologique tchèque, les réserves d’eau de surface sont influencées par plusieurs phénomènes, mais seule la mine peut expliquer l’importante baisse de la nappe phréatique en profondeur. De plus, des affaissements de terrain ont été observés des côtés tchèque et allemand de la frontière.

Dans sa ferme du village voisin de Václavice, Michal Kopecký raconte les dernières années passées à transporter des bidons d’eau quand son puits s’est asséché. Il dit comprendre les craintes des Polonais, mais il blâme plutôt leur gouvernement et la société minière.

Ils savaient que la mine ne pourrait être en fonction indéfiniment, mais ils n’ont pas préparé les gens, et de toute évidence, ils ne s’y préparent pas du tout.

Michal Kopecký

Alors que les deux gouvernements négocient un accord qui mettrait fin au procès européen ouvert ce mardi, les habitants tchèques ont peur d’être oubliés. « Je crains qu’un accord ne mène qu’au versement d’indemnités entre États, que la mine s’élargisse, que l’eau continue à s’écouler et que cela soit un problème quotidien », dit M. Gabryš. « L’eau, c’est la vie, on s’en rend vite compte », conclut-il.