(Saint-Vallier, dans la Drôme) L’homme qui a giflé le président Emmanuel Macron, mardi dans la Drôme, est un fan d’histoire médiévale qui suit l’extrême droite royaliste sur les réseaux sociaux.

Mais il est décrit comme apolitique et non violent dans sa région d’origine.

Damien T., 28 ans, arrêté à Tain-L’Hermitage, habite Saint-Vallier, dans la Drôme, au nord de Valence.

Adepte des jeux de rôle médiévaux

Il y a fondé deux associations dans les arts martiaux historiques européens — une pratique de combats « tombés dans l’oubli » qui compte 1500 pratiquants en France — et les jeux de plateau à figurines.

Il y côtoie son ami Arthur C., 28 ans, arrêté à ses côtés après avoir filmé l’agression du chef de l’État.

Rencontré par l’AFP mardi soir à Saint-Vallier, Loïc Dauriac, 36 ans, est un ami des deux hommes-le second est le parrain de sa fille. Il se trouvait d’ailleurs avec eux avant le passage de M. Macron. Les trois ont été filmés par une équipe d’une émission d’affaires publiques, Quotidien.

Parti avant la gifle, il dit avoir été « énormément » étonné par le geste de Damien T. : « c’est pas quelqu’un de violent ». Deux commerçantes voisines de l’association de jeux confirment, évoquant « un gamin sans histoires ».

« C’est pas du tout le style de la personne », abondent encore deux anciennes camarades de collège et de lycée croisées dans Saint-Vallier. « Et il n’a jamais montré d’opinion politique, à ce qu’on sache. »

Idem pour Arthur C., selon un habitant qui le côtoie dans un conseil de quartier. « Franchement je suis tombé du sixième étage, je comprends pas, ce garçon a dû se laisser entraîner », affirme-t-il à l’AFP au téléphone.

« Idées à la con »

« Je le côtoie dans nos réunions, où l’on ne parle pas de politique ni de religion ; on est là pour la ville, pour aider les gens, et il a toujours été correct avec nous, très sensé dans ses raisonnements », ajoute-t-il.

Sur YouTube, Damien T. est cependant abonné à plusieurs chaînes d’extrême droite, comme celle d’Henry de Lesquen, condamné en 2018 pour provocation à la haine et contestation de crime contre l’humanité ; ou royalistes comme celle du Cercle Richelieu.

Sa page Facebook indique qu’il « aime » celle du groupe Action Française Lyon, parmi d’autres des mêmes mouvances.

Interrogé sur ces fréquentations en ligne, Loïc Dauriac répond qu’il n’est « pas surpris » car son ami « est de nature curieuse ». Mais « il n’a pas ces idées-là ». « Il est contre les royalistes. Pour lui, ils ont des idées à la con », assure-t-il.

Le film Les Visiteurs

Pourquoi, dès lors, avoir prononcé leur cri de guerre, « Montjoie Saint-Denis », en s’en prenant au président ? Pour M. Dauriac, il ne faut pas y voir une référence royaliste, mais plutôt une allusion au film Les Visiteurs : en bon « médiéviste », il aurait pu tout aussi bien lancer une réplique de la série télévisée Kaamelott.

Selon lui, Damien T. vit de petits boulots d’intérim après avoir entamé, sans les achever, des études de thanatologue. Ses deux associations visent à faire vivre la commune et son histoire, « assez riche avec Diane de Poitiers » (qui fut comtesse de Saint-Vallier), à « défendre la belle image de la France ».

Et d’expliquer le geste du jour par des rancœurs contre un discours de M. Macron, en 2017, sur la diversité de la culture française ; par les difficultés « à joindre les deux bouts » ; par le « gros ras-le-bol » face à un président « qui ne nous écoute pas ».

« Ces gens-là, ça fait des années qu’ils n’ont pas voté », conclut M. Dauriac au sujet des mis en cause.

« Montjoie Saint-Denis ! » Cri de guerre médiéval devenu slogan royaliste

« Montjoie Saint-Denis », les mots lancés lors de l’agression d’Emmanuel Macron mardi se réfèrent à un cri de guerre des armées royales au Moyen Âge, devenu un slogan de ralliement royaliste.

L’agresseur du chef de l’État avait-il ces références historiques ou politiques à l’esprit en prononçant ces mots ? Cela n’a pas encore été établi.

Moyen-Âge

Ce cri des armées royales françaises remonte au temps des Capétiens. Il aurait été crié pendant la bataille de Bouvines en 1214, par les forces de Philippe II Auguste contre celles de Otton IV, l’empereur du Saint Empire romain germanique.

« Montjoie » désigne la bannière derrière laquelle se rassemble l’armée médiévale, lorsqu’elle monte au combat.

Et « le cri fait référence à l’oriflamme royal, conservé à Saint-Denis, où sont également enterrés les rois », souligne Florian Besson, docteur en histoire médiévale et animateur sur Twitter du compte @AgeMoyen, consacré au Moyen Âge.

Une légende citée par l’Encyclopédie Universalis rapporte par ailleurs que le roi Clovis aurait été victorieux à « Montjoye », près de Saint-Denis, grâce à un écu portant trois fleurs de lys d’or sur un fond azur. Un miracle qui aurait été commémoré par le cri de guerre « Montjoie Saint-Denis ! ». Cette bannière était dès lors devenue l’étendard du royaume.

Quant à l’origine du mot « mont-joie », elle est liée, selon l’Encyclopédie Universalis, aux montjoies, ces petits tas de pierre que l’on trouve encore aujourd’hui au col d’une montagne. Au Moyen âge, ce mot désignait aussi une colline, un oratoire ou un territoire à protéger.

Cri nationaliste

Le cri est abandonné à partir du XVIe siècle. Puis « il devient un mot de ralliement politique avec la naissance du royalisme en 1789 », écrit sur Twitter Paul Chopelin, maître de conférence en histoire moderne à l’Université Jean Moulin à Lyon.

Au XIXe siècle, il est redécouvert et réinventé. L’historien Jules Michelet, grand inventeur du « roman national » en fait ainsi « le cri de la France ». Il s’agit d’une « vision évidemment anachronique qui surestime largement l’importance de ce cri, mais comme bien souvent les idéaux nationalistes de l’époque », estime Florian Besson.

« Quand les chevaliers utilisaient ce cri, ils ne pensaient pas en termes de France, mais en termes de royaume. Mais pour Michelet c’est très important de trouver un “cri de la France” dès le 12e siècle », dit-il.

Plus récemment, ce cri avait pris une teinte folklorique après avoir été popularisé par le film Les Visiteurs (1993).

Montjoie Saint-Denis, que trépasse si je faiblis !

Le chevalier Godefroy de Montmirail, joué par Jean Reno

Dans une scène célèbre de ce filme-culte, le personnage joué par Reno lance cette réplique en chargeant des gendarmes.

Action française

Le député Éric Coquerel (du parti La France Insoumise) avait été entarté en avril 2018 par trois étudiants, alors membres de l’Action française, au cri de « Montjoie Saint-Denis ! ». La fédération francilienne d’Action française avait alors revendiqué l’action sur les réseaux sociaux.

Par ailleurs, le chœur « Montjoie Saint-Denis », composé d’hommes costumés en mousquetaires ou en militaires, était un des piliers des fêtes du Front national.