«C'est une mascarade», «du pipeau», «de l'esbroufe, du saupoudrage» : À Marseille, à Rennes, comme au Boulou, à la frontière franco-espagnole, les «gilets jaunes» ne décolèrent pas après l'allocution d'Emmanuel Macron, et promettent un «Ve acte qui peut être la fin de la Ve République».

Au rond-point du Boulou, dans le département des Pyrénées-Orientales, à la nuit tombée lundi soir, quelque 150 «gilets jaunes» ont écouté attentivement les mots du chef de l'État autour d'un haut-parleur, avant de se mettre à vociférer en choeur. «Il essaie de faire une pirouette pour retomber sur ses pattes. On voit bien qu'il n'est pas sincère, que c'est de la poudre aux yeux», lance Jean-Marc, un garagiste qui répare de vieilles Citroën 2 CV.

«C'est de l'esbroufe, des effets d'annonces, du saupoudrage, on dirait même que c'est de la provocation», abonde Thierry, 55 ans, mécanicien vélo qui a enfilé le gilet jaune il y a quinze jours.

«Tout ça, c'est du cinéma, tant qu'on ne s'attaque pas aux problèmes de fond, il faut prendre le taureau par les cornes et annuler la dette publique», déclare-t-il avant de partir «bloquer» le péage du Boulou, à la frontière franco-espagnole. «On est remontés à bloc, on est repartis au front», promet-il.

Moins d'une heure après l'allocution présidentielle, le péage de l'A9 était entièrement paralysé en provenance d'Espagne.  

«Peut-être que si Macron avait fait cette allocution il y a trois semaines, ça aurait calmé le mouvement, mais maintenant c'est trop tard», estime Gaétan, 34 ans, l'un des référents du groupe Rennes Lapins Jaunes, dans l'ouest. «Pour nous, ce discours c'est du pipeau».

«Sparadraps sur des brûlures»

À Montabon, sur un rond-point à une sortie d'autoroute, les gilets jaunes, réunis confortablement sous une tente chauffée, ont regardé le président à la télé, en partageant un pique-nique sur une toile cirée. «Dommage, encore raté !» s'exclame Étienne, «le père Noël n'a rien dans sa hotte», raille Hubert.  

Attablés au café de la Paix à Commercy, une quinzaine de gilets jaunes, mobilisés depuis le 17 novembre, découvrent le discours devant un Picon et une barquette de frites, interrompant l'allocution présidentielle de ricanements ironiques : «Monsieur se repend», persifle Elisabeth, une retraitée de 66 ans, quand le président reconnaît qu'il lui est arrivé d'en «blesser certains». «Il était temps», renchérit Damien, la trentaine. «Menteur», fustige une femme. «Il est pris en otage donc il lâche quelques miettes», commente Jonathan, fonctionnaire de 35 ans.

Venus des quatre coins du Tarn, les «gilets jaunes» réunis sur le rond-point de Réalmont lâchent soupirs et rires nerveux. «Le peuple lui demande de démissionner et lui impose des sparadraps sur des brûlures au 3e degré [...] c'est du foutage de gueule», lâche Pierrot, artiste qui vit avec une allocation de solidarité à Albi.

Pour Luc, cuistot dans une pizzeria à Marseille, «c'est une mascarade. Il annonce des primes versées par les employeurs, mais comment ils vont faire, ils n'ont plus de sous».

Certains gilets jaunes voient quand même «une prise de conscience» voire une «avancée» dans le discours présidentiel. L'augmentation du salaire minimum de 100 euros, «c'est vraiment pas mal», se réjouit Erwan, l'un des porte-parole à Rennes. Les annonces pour les retraités qui gagnent moins de 2000 euros «ça va quand même leur faire un petit plus», «la prime de fin d'année aussi, c'est très bien». «Il a même parlé des grandes entreprises qui ne payent pas leurs impôts en France, on espère que ça bougera là-dessus aussi».

«Il y a de bonnes idées, un mea culpa, qui arrive trop tard mais on ne va pas cracher dessus», abonde Claude Rambour, 42 ans, gilet jaune membre des Gaulois de Calais, dans le nord du pays. Mais «il aurait dû aller plus loin», dit le quadragénaire qui craint que ce discours veuille «diviser les gilets jaunes».

Mais «le fait qu'il ne revienne pas sur la suppression» de l'impôt sur la fortune, une des revendications-phare des frondeurs, «c'est pire que tout. C'est par là qu'il a allumé la mèche et il n'éteint pas l'incendie», fustige à Montceau-les-Mines Pierre-Gaël Laveder.

«Globalement, Macron n'a pas pris la mesure de ce qui se passait». Le militant syndical prévient que ça risque «de péter cette nuit» et samedi, le «Ve acte (allusion à une nouvelle journée de mobilisation nationale) ça peut être la fin de la Ve République», instaurée en 1958 par le général Charles de Gaulle.