Trois proches du président Nicolas Sarkozy, un magistrat et les deux premiers policiers du pays, vont être entendus dans les prochaines semaines par la justice française qui les soupçonne d'avoir organisé l'espionnage de journalistes du quotidien Le Monde.

Le chef de la police française, Frédéric Péchenard, le chef du contre-espionnage, Bernard Squarcini et le procureur de Nanterre (près de Paris) Philippe Courroye, vont être convoqués par la justice, dans un dossier en marge de la tentaculaire affaire Bettencourt, du nom de l'héritière du groupe de cosmétiques L'Oréal, selon une source proche du dossier.

Ces convocations surviennent après une semaine cauchemardesque pour le président Nicolas Sarkozy, avec la multiplication de révélations dans des affaires de financement politique et de corruption. Deux autres de ses amis ont ainsi été inculpés (mis en examen) dans un dossier lié à un contrat de vente de sous-marins au Pakistan dans les années 1990.

Dans l'affaire d'espionnage de journalistes du Monde, une enquête a été ouverte pour «atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l'autorité publique», à la suite d'une plainte déposée par le quotidien.

Les auditions par une juge d'instruction, programmées pour la mi-octobre en ce qui concerne les deux policiers, pourraient éventuellement déboucher sur une inculpation.

Au fil de son enquête, la magistrate parisienne chargée du dossier en est venue à soupçonner le cabinet du procureur Philippe Courroye d'avoir été à l'origine d'une surveillance destinée à obtenir les relevés téléphoniques de deux journalistes du Monde, afin d'identifier leur source.

Les journalistes travaillaient sur les affaires liées à la milliardaire Liliane Bettencourt, l'une des trois plus grosses fortunes de France.

L'affaire Bettencourt est née d'un différend familial entre la riche héritière et sa fille. Elle a rapidement dégénéré en un scandale politico-financier, mêlant soupçons de favoritisme et de financement illégal, qui a coûté son poste, fin 2010, de ministre du Travail à Éric Woerth. Ce dernier avait été le trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle de 2007.

La convocation par une juge d'instruction d'un haut magistrat comme Philippe Courroye est «du jamais vu» en France, a jugé mercredi l'Union syndicale des magistrats (USM, syndicat majoritaire).

Dans un communiqué, le procureur de Nanterre s'est immédiatement «indigné» d'une «mise en cause calomnieuse».

Le magistrat a fait l'objet de vives critiques depuis sa nomination à la tête du parquet de Nanterre, notamment pour sa gestion du dossier Bettencourt, sur lequel il a cherché à garder la haute main pendant de longs mois.

En France, les procureurs dépendent hiérarchiquement du ministère de la Justice. Ils ont la possibilité de conduire des enquêtes, mais en général, ils confient les affaires les plus sensibles ou les plus complexes à des juges d'instruction indépendants.

Sur le fond du dossier Bettencourt, l'ex-comptable de l'héritière de L'Oréal, Claire Thibout, a confirmé mercredi dans la presse ses accusations de remises d'argent à Éric Woerth, en sa qualité de trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.

Dans le quotidien Libération, Mme Thibout confirme avoir retiré 50 000 euros (environ 70 000$) à la banque en janvier 2007, quelques mois avant la présidentielle. Et se référant à des propos que lui aurait tenus le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, elle affirme que cette somme «était destinée à Éric Woerth». Ce dernier a de nouveau démenti mercredi ces accusations.