(New York) Un jour, ils sont élus, stratèges ou conseillers de la Maison-Blanche. Le lendemain, ils sont collaborateurs, analystes ou animateurs d’émissions de télévision politiques.

Le phénomène n’est évidemment pas limité aux États-Unis, mais il place depuis quelques jours les médias de ce pays devant une question singulière : le trumpisme est-il soluble dans le journalisme ?

La question découle de l’embauche et du licenciement de Ronna McDaniel, ex-présidente du Comité national républicain (RNC), par NBC News, qui lui avait offert un contrat annuel de 300 000 $ à titre d’analyste politique. Quatre jours se sont écoulés entre cette embauche et ce licenciement.

La nièce de Mitt Romney n’était pourtant pas la première personne à avoir signé un tel contrat après avoir été à la tête de l’organisme chargé de diriger le Parti républicain. Un de ses prédécesseurs, Reince Priebus, qui a également servi Donald Trump comme chef de cabinet de la Maison-Blanche, s’est joint l’an dernier à ABC News à titre de collaborateur. Un autre, Michael Steele, est passé récemment d’analyste à animateur à MSNBC, chaîne sœur de NBC.

Des exemples semblables regorgent également du côté démocrate. Qu’on pense à George Stephanopoulos, ex-directeur des communications de la Maison-Blanche sous Bill Clinton, devenu animateur de Good Morning America et de This Week, émissions phares d’ABC News, ou à Donna Brazile, ex-présidente du Comité national démocrate, dont les services ont été retenus au fil des ans par trois chaînes différentes – CNN, Fox News et ABC.

En fait, la liste des politiques démocrates ou républicains devenus collaborateurs, analystes ou animateurs est quasiment interminable. C’est ce qui rend encore plus remarquable la révolte qui a éclaté parmi le personnel de NBC/MSNBC après l’annonce de l’embauche de Ronna McDaniel.

Chuck Todd, analyste politique en chef de NBC News, a été le premier à critiquer publiquement ses patrons.

« Lorsque NBC prend la décision de lui accorder la crédibilité de NBC News, il faut se demander ce qu’elle apporte à NBC News », a-t-il déclaré lors de l’émission Meet the Press du dimanche 24 mars, après avoir accusé Ronna McDaniel d’avoir trompé et diffamé les journalistes en tant que présidente du RNC.

Le lendemain, plusieurs animateurs de MSNBC, y compris Rachel Maddow, star de la chaîne câblée, ont pris le relais, poussant le patron de NBC News à virer la recrue qu’il avait embauchée dans le but d’attirer les républicains et d’amadouer les critiques de son groupe. Critiques qui n’ont voulu voir dans la crise qu’une confirmation de leurs griefs.

« NBC vient d’embaucher et de licencier immédiatement Ronna McDaniel, parce que l’équipe a refusé qu’un seul républicain la rejoigne – c’est dire à quel point elle est partiale ! », a écrit le patron de X, Elon Musk, sur son réseau social, mercredi dernier.

N’en déplaise à l’entrepreneur, les critiques de Ronna McDaniel au sein de NBC/MSNBC ne lui reprochaient pas son appartenance au Parti républicain.

Ils ont plutôt dénoncé ses attaques contre les journalistes de MSNBC (des « propagandistes », a-t-elle dit), sa promotion du « grand mensonge » de Donald Trump sur l’élection présidentielle de 2020 et sa participation aux efforts de l’ex-président pour invalider les résultats de ce scrutin.

Rachel Maddow a décrit Ronna McDaniel comme « quelqu’un qui ne nous a pas seulement attaqués en tant que journalistes, mais qui fait partie d’un projet en cours visant à se débarrasser de notre système de gouvernement ».

Bref, selon l’animatrice, une personne ayant incarné le trumpisme comme Ronna McDaniel l’a fait ne peut servir d’analyste politique pour un média sérieux, et ce, même si le trumpisme occupe une place importante, voire prédominante, au sein du Parti républicain.

Dilemme cornélien ?

Mais les médias ne trahiraient-ils pas leur mission en boycottant le point de vue des trumpistes dans leurs panels journalistiques ?

« Si un organe de presse veut vraiment représenter la politique de Donald Trump dans ses reportages et ses commentaires, il se heurtera à quelques problèmes », répond Michael Socolow, professeur au département de communication et de journalisme de l’Université du Maine, dans un courriel à La Presse.

« [Trump] estime que ses partisans emprisonnés pour avoir attaqué le Capitole le 6 janvier [2021] sont des héros et des “otages” politiques, et il a déclaré qu’il encouragerait la Russie à “faire ce qu’elle veut” si les pays de l’OTAN ne dépensaient pas davantage pour leur défense. Trouver quelqu’un qui pourrait être d’accord avec Trump dans l’abstrait est une chose, mais un journaliste ou un commentateur qui pense que Joe Biden n’a pas été légitimement élu président en est une autre. »

« Les organes de presse américains sont confrontés à un dilemme, ajoute-t-il. Représenter [les points de vue de Trump] de manière “équitable” ou “équilibrée” peut rendre un mauvais service à leurs auditoires et au public. »

Une chose est certaine : en annonçant le licenciement de Ronna McDaniel, le président de NBC News, Cesar Conde, s’est engagé à redoubler « d’efforts pour trouver des voix qui représentent différentes parties du spectre politique ».

Mais Donald Trump et ses alliés ne sont pas prêts à passer l’éponge. Le RNC menace de punir NBC pour son licenciement de Ronna McDaniel en réduisant l’accès de ses journalistes à la convention républicaine de Milwaukee en juillet. Et l’ancien président continue ses attaques contre Brian Roberts, président de Comcast, dont NBC Universal est une filiale.

« Les faux présentateurs de [MSNBC] ont pris le contrôle de NBC et le président Brian Roberts ne sait pas quoi faire ! », a-t-il dénoncé sur Truth Social la semaine dernière.

Donald Trump, lui, sait quoi faire. En novembre dernier, irrité par les critiques de MSNBC à son endroit, il a appelé le gouvernement à « s’en prendre durement » à cette chaîne « et à lui faire payer son activité politique illégale ».

Sa réponse à la question qui coiffe cet article semble évidente.